"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

samedi 8 mai 2010

Tanit, ou comment l'irresponsabilité peut faire gagner de l'argent

Être irresponsable peut provoquer parfois sa mort, mais peut aussi parfois rapporter gros.
Prenez un couple de jeunes Français avec un enfant en bas-âge, passionnés de voile et de voyage. Passion que je partage bien volontiers en ce qui concerne les voyages, la navigation ne m'intéressant que s'il s'agit de cabotage. Mais cet amour des voyages ne me fera pas emmener ma famille en Afghanistan dans les prochains mois et même sans doute les prochaines années.
Ce couple et deux amis ayant les mêmes passions qui voisinent avec un certain rejet de notre société de consommation ainsi que le précise le blog dédié à cette aventure ("Nous ne voulons pas devenir riche et célèbre, nous ne voulons pas nous enfermer dans le quotidien de la vie occidentale, nous voulons cesser de consommer à tout va...") préparent un long voyage de plusieurs mois sans véritable espoir de retour (Pour la date de retour, en fait il n'y en a pas vraiment. On pense arriver à Mayotte vers le mois de mai 2009 et chercher du travail là-bas. Y rester quelques temps pour mieux repartir, vers Panama peut-être.....). C'est également un choix d'éducation pour leur enfant âgé de moins de 3 ans au moment du départ en juillet 2008 ("Colin, petit bout d’homme né à Vannes, le 16 octobre 2005, voyagera et grandira sur un bateau.").
Le voyage préparé de longue date doit les mener de Vannes à Mayotte.
Mais leur préparation laisse de côté un danger majeur : la traversée du Golfe d'Aden et la navigation au large des côtes somaliennes. En 2006, 12 actes de piratage ont été enregistrés dans la zone, 35 en 2007 et 164 en 2008. En avril 2008, le Ponant a été arraisonné et ses occupants pris en otage. En septembre de la même année un couple de navigateurs français étaient également pris en otage à bord du Carré d'As. Dans les deux cas, une intervention militaire armée de la part des commandos marine avait permis la libération des otages. Sans préjudice corporel pour ces derniers.

Le danger est donc connu par ce jeune couple et ses accompagnateurs. Les militaires de la Marine Nationale qui patrouille dans la zone les avertissent également et à plusieurs reprises de ce danger et leurs déconseillent vivement de s'engager dans cette zone. Malgré cela ils s'y lancent ("Le danger existe, et il s'est sans doute accru au fil de ces derniers mois, mais l'océan reste vaste. Les pirates ne doivent pas anéantir notre rêve"). Ils voyageront tous feux éteints.Sans succès.Le 4 avril 2009, ils sont pris en otage par des pirates somalis. 6 jours plus tard les commandos marine donnent l'assaut pour libérer les otages. Le père du petit Colin meurt touché par une balle ainsi que deux preneurs d'otages. Le prix d'un rêve qui en restera un. Les autres otages dont l'enfant sont sains et saufs. Ils seront reçus à l'Elysée, comme le veut la tradition depuis 2007.

Comme nous sommes en France et qu'on ne peut considérer cette mort d'un otage comme faisant simplement partie des risques lors d'une intervention armée avec tirs effectués de part et d'autre, on fera bien sûr une enquête pour savoir qui a tué l'otage. Même si par ailleurs, les gens qui ont une petite idée de la façon dont se déroule de type d'intervention et du fait qu'il n'y ait qu'une victime parmi les otages auraient pu vous dire sans gros risque d'erreur que l'otage avait été victime d'un tir ami, comme on appelle ce genre de tirs. Sans vouloir m'appesantir sur le sujet dans tous les conflits armés, dans toutes les escarmouches, la probabilité existe de se prendre un projectile venant de l'arme de quelqu'un de votre camp. Aussi combien de poilus ont-ils été touchés par des tirs d'artillerie amis. Plus proche de nous, les combattants de la guerre d'Algérie pourront témoigner du fait que les tirs français ont fait quasiment autant de morts dans leurs rangs que ceux du FLN. J'ai moi-même personnellement assisté à deux événements, hors conflit, où des balles ne sont pas passés loin de la tête de quelqu'un à cause d'erreurs de manipulations. Parce que les armes ça tue et les balles ne font pas la différence entre amis et ennemis. Alors imaginez ce qui peut se passer dans ce type d'intervention ou les risques sont d'autant plus accrus que le lieu de l'engagement est confiné.
La balle qui a tué l'otage était donc française. Sans entrer dans les détails il semblerait que la victime au lieu de ne pas bouger ait eu un mouvement qui a paru hostile au militaire qui a tiré. Un tir réflexe suite à un geste mal interprété. Mais qui n'a rien d'infamant et ne remet pas en cause le professionnalisme du tireur.

Cependant l'Etat assume et reconnait une responsabilité sans faute. Et il assume chèrement en proposant des compensations qui feraient pâlir de jalousie la famille d'un militaire tué en service ou lors d'un conflit. J'y reviendrai.
Les propositions faites par l'Etat sont les suivantes : un emploi de fonctionnaire pour la veuve et un statut de pupille de la nation pour l'enfant. Et bien entendu des compensations financières : 386000 euros pour la veuve, 83000 pour l'enfant et 17000 pour chacun des parents, ce qui fait 503000 euros. Tout cela est calculé à partir d'abaques tenant compte de l'âge, de la situation de la famille et de ses revenus. Et bien entendu, l'Etat demande à la famille d'interrompre les poursuites civiles.
Mais pour la veuve tout ceci est insuffisant. Peut-être que le retour sur la terre ferme lui a brusquement donné un goût pour l'argent qu'elle semblait mépriser avant cette aventure.Sans doute conseillée par un baveux payé au pourcentage, ses exigences sont toutes autres. Elle réclame 568000 euros pour elle, 200000 pour son fils, 30000 et 40000 pour chacun des parents de la victime (pourquoi cette différence ?),entre 20000 et 30000 euros pour le frère et la sœur de cette dernière, ainsi que pour ses deux compagnons d'infortune libérés par le commando.Nous remarquerons qu'égoïstement les oncles et tantes, les cousins et cousines, les amis et collègues ont été oubliés. Mais globalement la note passe à  environ 950000 euros.
Une note bien salée surtout quand on sait que si dans l'action, c'est un des commandos qui avait été tué, sa famille aurait touché une année de solde (sans les primes), c'est-à-dire en gros et en considérant que c'est un sous-officier ou plus exactement un officier marinier une vingtaine de milliers d'euros et la pension de réversion du militaire qu'il aurait touché le moment venu. Si on ajoute à ça quelques autres indemnités au maximum la famille aurait touché quelques 100000 euros. On est loin des 500000 euros offerts gracieusement parl'Etat et du presque million réclamé. 

Il parait d'ailleurs que les militaires n'apprécient pas trop les revendications de l'épouse de la victime. Il faut dire tout de même que si elle-même se présente comme victime, elle élude totalement la part de responsabilités que son époux et elle, parce qu'elle y était quand même, et à lire son blog elle était tout à fait consentante, ont dans cette affaire qui aurait pu se terminer d'une façon bien plus tragique encore.
Autant dire que pour ma part je considère ces exigences avec un certain dégout. Et je trouve même que ce qui est offert par l'Etat est de trop. J'encourage d'ailleurs celui-ci à ne plus se mêler du sort des prochains individus qui alors qu'on le leur aura fortement conseillé iront mettre leurs pieds dans des zones où on leur a formellement déconseillé d'aller. Voire de leur faire signer une décharge. L'irresponsabilité doit avoir des limites. En tous cas, il faudrait s'abstenir de la récompenser.

7 commentaires:

  1. j'ai parcouru le blog consacré au Tanit, lu l'enquète de Rue 89
    cette femme vit une errance car elle refuse de remettre en question le bien fondé du rêve, d'une autre vie possible et celà est agravé par la nécessité de ne pas trahir son mari, sa mémoire
    Ce genre d'écran total à la réalité, l'acceptation se rencontre souvent dans les affaires de fautes médicales
    Il ne peut être déconnecté que par la clarté d'une parole immédiate qui barre la route à toute forme de doute
    Il faut de manière urgente que la faute soit reconnue
    Cette femme désormais vivra ce deuxième drame: son errance à rechercher la vérité
    Elle pose bien la question impossible et surréaliste:comment un militaire de ce niveau a pu.....elle n'aura jamais la réponse, le militaire se pose la même
    Comment la sortir de là: lui faire admettre qu'il y avait une prise de risque lui faire reconnaître la part responsable de cet embarquement
    Seul un Psy peut le faire et c'est encore une prise de risque je crois
    Une seule solution, arriver à lui produire les faits exacts, mais ceux ci sont en brouillon et elle , continue à reconstruire le puzzle avec des pièces fausses peut être
    Non ils ne devaient pas se trouver là,ça ne fait aucun doute, mais la sécurité civile et militaire passe un temps fou à tirer du drame des convaincus que tout est possible

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  2. Je ne connais pas cette histoire, mais effectivement comme vous la racontez, elle paraît un peu fort de café.

    Moi ce qui me fait bondir, c'est la différence de la somme entre l'indemnisation de la femme qui peut toujours se retrouver un autre bonhomme comme mari et celle de l'enfant qui ne retrouvera pas de père pour l'éduquer, l'entretenir et l'aimer.

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  3. Cimabue,
    la faute (sans responsabilité, c'est aussi très important pour le militaire)a été reconnue par l'Etat. La chose a été rendue publique tardivement parce que l'affaire est en justice, que les traductions devaient être faits en somali puisqu'il y a des pirates inculpés, et que la Défense ne pouvait s'exprimer publiquement sur le dossier du fait de la procédure.
    Par contre, il n'a pas fallu un an pour déterminer l'origine du coup de feu meurtrier et le Ministère de la Défense n'est pas resté indifférent au sort de cette dame. Si la chose n'a pas été rendue publique rapidement, elle était au courant et une rencontre a même été aménagée (mais là seuls les psy me diront si c'était bien, mais je pense qu'ils y sont pour qq chose) entre elle et le militaire auteur du coup de feu.
    Moi ce qui me gêne beaucoup là-dedans parce que je peux éventuellement comprendre une appréhension des choses pas objective de la part de l'intéressée et veuve, c'est qu'au fond il ne semble y avoir qu'une sordide histoire de fric, ce que je comprendrais si on lui avait dit que sa responsabilité dans l'affaire excluait toute indemnisation. Mais ce n'est pas le cas, et je trouve que l'Etat se montre ici bien généreux avec une personne qui a tout de même une responsabilité évidente dans son malheur, en tout cas bien plus généreux qu'avec ses serviteurs, militaires, policiers, pompiers ou autres qui laissent leur peau à son service.

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  4. Oui Jean-Michel, moi aussi ça m'a paru bizarre. Mais il semblerait que ce soit ce qui est pratiqué couramment chez nous. Peut-être la justice croit-elle encore à l'esprit de responsabilité de tous les parents ?

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  5. ce qui m'a conduite à porter cette histoire sur un conflit intérieur de cette femme est le fait qu'elle revendique encore et toujours: nous n'avons rien demandé, ma mère a donné ordre de ne pas intervenir
    Tout est à l'envers depuis le jour où cette famille a décidé une autre vie
    La grande muette n'est pas faite pour ce genre de terrain, exploité en plus par les avocats
    Le plus poignant est qu'il est inconcevable que quoi que ce soit de louche puisse mijoter
    On se demande quelle raison d'état pourrait couvrir une simple histoire de particuliers en aventure raflés par des somaliens demandeurs de rançon
    Peut être une idée sacrificielle inconsciente: payez notre rançon à ces pauvres gens?
    Là j'abandonne,on entre dans ces problèmes géopolitiques sans solution apparente
    Je pense à ce jeune militaire, foutu probablement

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  6. Edifiant, chiffres en mains (qu'on ignorait)
    Sans être de même nature puisqu'eux travaillaient et n'accomplissaient pas un "rêve" irresponsable, le psychodrame se rapproche, pour le coût de récupération des ôtages, de la mésaventure actuelle de deux journalistes de la 3 dont certaines voix officielles et officieuses ont laissé entendre que les risques pris délibérément par des particuliers finissaient par coûter cher à la communauté nationale, totalement étrangère à la décison des premiers et à leurs entreprises déraisonnables.
    Tu joues au con, tu paies ta connerie d'adulte (où la bonne femme visiblement gourmande car suffisamment remise de ses émotions pour ne perdre pas le nord de son porte-monnaire!) (baveux à l'appui). le Pb c'était le gosse, innocent dans cette affaire!

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  7. J'ai oublié : sur la très belle photo d'accueil de votre blog, j'ai été interpellé par la Colonne Morris. Qui n'en est peut-être pas une, mais qui en tout cas nous est familière.

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