"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

dimanche 18 mars 2012

Quelle réforme pour la fonction publique?



Mon précédent billet pointait du doigt la capacité de nuisance de certains fonctionnaires. Sans vouloir généraliser cette attitude à la totalité des fonctionnaires, il est loisible de constater qu'en France un agent public peut sans grand risque pour lui, son emploi, sa rémunération, sa carrière se vautrer dans la fainéantise, l'incompétence, le mépris vis-à-vis de l'usager, bref œuvrer de longues années comme un parasite nuisible. Cette affirmation de ma part n'est pas l'élucubration de quelqu'un qui porte en lui une haine irrationnelle du fonctionnaire, mais le fruit d'une expérience d'usager qui a vu le meilleur et le pire, mais comme chacun je pense, et surtout du vécu de quelqu'un qui a eu à commander, pardon manager (sans être sûr que ce dernier terme soit encore adéquat parce que peut-être encore trop violent car marquant des rapports hiérarchiques étrangers à cette belle idée d'égalité dont on nous rabat les oreilles), un certain nombre de fonctionnaires mêlés à des militaires. Cette expérience de 4 ans, juste pour dire que j'ai quand même eu le temps de faire le tour de la question et d'y réfléchir, ne manqua pas d'intérêt pour moi, car certains qui garderont un souvenir ému de mon passage s'en seraient bien passé j'imagine, même si une simple mutation et une évaluation peu élogieuse ne valent pas le licenciement qu'ils auraient mérité. Je reviendrais là-dessus ainsi que sur la difficulté inverse de récompenser les meilleurs éléments.
 
Ce qui précède, bien évidemment, montre que le statut des fonctionnaires est complètement inadapté à un service public moderne et performant. Ce statut est effectivement un boulet qui peut nuire à l'efficacité du service public et qui nuit assurément à ceux des fonctionnaires qui travaillent le mieux et ne peuvent attendre quasiment rien en termes de récompenses.
Pourtant ce n'est pas à ce statut archaïque qu'on s'attaque actuellement. C'est aux effectifs globaux selon une logique complètement absurde mais qui est sans doute la seule à pouvoir être mise en vigueur à cause des blocages nombreux venant essentiellement des syndicats inspirés par nos égalitaristes de gauche. Car évidemment les fonctionnaires coûtent cher à l'Etat pendant et après leur activité. La réduction de leur nombre est donc devenue, alors que les finances publiques n'en peuvent plus, une priorité. Mais qu'on se rassure, il y a du gras. Car si des pays en Europe, comme la Norvège ou la Finlande avec respectivement 160 et 110 fonctionnaires pour 1000 habitants, la France avec un ratio de 90 pour mille a encore une marge certaine avant d'en arriver au niveau de l'Allemagne qui dispose d'un ratio de 50 pour 1000, sans que par ailleurs on entende parler d'une catastrophe dans ce dernier pays en ce qui concerne la qualité des services publiques. Même les pays du sud que sont l'Italie, l'Espagne et le Portugal se situent entre la France et l'Allemagne, plus proches de l'Allemagne d'ailleurs. On peut donc considérer qu'il y a sans doute du grain à moudre, ou plutôt du dégraissage de mammouth à opérer chez nous sans rendre inopérante la fonction publique, mais en faisant des économies substantielles. A titre d'information, alors que les salaires et traitements des agents de la fonction publique en Allemagne équivalent à 7% du PIB, en France ils atteignent 12%.
 
On ne peut donc que louer cette volonté de mettre en œuvre une réduction drastique du nombre de fonctionnaires en France, même si la méthode en elle-même est critiquable. Car s'attaquer uniformément à tous les ministères n'a aucun sens tandis qu'on imagine bien que dans certains des économies substantielles peuvent être réalisées et supérieures à ce qu'apporte le remplacement d'un départ à la retraite sur deux, tandis que d'autres ne devraient certainement pas être dégraissés ou dans une moindre mesure. Mais ce qui devrait interpeler également c'est ce choix de moduler les effectifs par le non-remplacement d'un certain nombre de partants parce qu'arrivés en fin de carrière. Parce que c'est quasiment la seule possibilité qui existe en France du fait d'un statut imposant de garder quelqu'un pendant une quarantaine d'années après son embauche. Personnellement je trouve ça insensé d'embaucher quelqu'un pour 40 ans alors qu'on est incapable de dire ce qu'on pourra lui faire faire dans les dix ans qui viennent du fait des besoins en service public, et aussi des progrès qui sont fait en termes de procédures et outils de travail. Imaginez qu'on traine encore des gens engagés alors qu'ils ne pouvaient disposer que d'une machine à écrire et d'un papier carbone pour multiplier les exemplaires. Et quand je dis qu'"on traine", je pèse mes mots, car ceux qui ont refusé de s'adapter aux nouveaux outils et bien il a fallu les garder. Oui, c'est absolument insensé de conserver un tel statut garantissant un emploi à vie.
 
D'autres pays l'ont d'ailleurs bien compris en faisant entrer dans les effectifs de leurs agents publics une part plus ou moins importante de contractuels, ce qui leur donne la possibilité de moduler les effectifs en fonction de leurs besoins réels et de leurs ressources. Là quelques chiffres sont éclairants également. Tandis qu'en France 81% des effectifs de la fonction publique sont sous statut de fonctionnaire (et certains disent que ce n'est pas suffisant), ce chiffre est de 38% en Allemagne, 15% en Italie, 10% au Royaume-Uni. Et des pays comme la Suisse ou la Suède n'ont que des contractuels dans leur fonction publique. Pas sûr qu'ils s'en portent plus mal ainsi que les usagers. La vraie réforme efficace serait bien entendu d'imiter ces pays qui ont choisi la voie de la contractualisation totale ou partielle. Car il est tout de même aberrant de voir que la mainmise de l'Etat sur la fonction publique est d'autant moins grande que celle-ci est davantage fidélisée.
Je pense tout de même nécessaire de tenter de fidéliser une partie de la fonction publique, en particulier celles et ceux dont les spécificités professionnelles, dont les compétences, excluent un turn-over trop fréquent. Je pense en particulier à la santé publique. Mais je pense également qu'une fidélisation par autre chose qu'une garantie de l'emploi à vie est possible. C'est sans doute vers les rémunérations qu'il faut se tourner dont les augmentations pourraient aller de paire avec des réductions drastiques d'effectifs. Quant aux administratifs, quant à un tas d'emplois tenus par des ouvriers d'Etat ou fonctionnaires, enfin bref, tous ces postes ne nécessitant pas des compétences lourdes ou demandant une formation interne relativement légère et donc que le pôle emploi devrait être capable de fournir sans trop de peine, une contractualisation totale me parait largement envisageable. Ce qui éviterait en outre d'avoir à organiser des concours où il faut quasiment avoir un mastère en poche pour espérer décrocher un emploi de fonctionnaire de catégorie C tant la concurrence est grande avec pour conséquence des gens aigris de se sentir sous-employés et mal payés par rapport à leurs diplômes (même si, au passage, c'est eux-mêmes qui ont choisi l'impasse dans laquelle ils se trouvent).
Certains diront que c'est instaurer de la précarité au sein de la fonction publique. Eh bien oui, une précarité mais qui répondrait aux intérêts de l'Etat et aussi à celui des usagers qui auraient sans doute davantage de probabilités d'avoir en face d'eux des agents motivés.
 
Oui car la motivation des meilleurs avec le temps s'étiole tandis que celle des fainéants chroniques ne peut guère être aiguillonnée du fait d'un système de carrière fondé bien plus sur l'ancienneté que sur le mérite. Tout ça sans doute au nom de la paix sociale. Mon expérience m'a effectivement montré qu'il était aussi difficile de récompenser les agents méritants que de sanctionner ceux qui font juste acte de présence pour toucher leur traitement à la fin du mois. Que vous bossiez beaucoup ou pas, les possibilités d'avancement dans une même catégorie sont quasiment les mêmes. Les évolutions en notation sont suffisamment encadrées pour qu'on vous incite fortement à faire progresser chacun à peu près au même rythme. Et si, en tant que chef, vous refusez d'entrer dans ce système, on saura vous rappeler à l'ordre, car vos supérieurs veillent au grain, peureux qu'ils sont d'être confrontés à un recours ou une plainte syndicale. On vous fera par exemple remarquer qu'avant, avant vous, ça se passait bien et que s'il y a un problème c'est vous le responsable certainement. Parce oui effectivement avant tout se passait bien. Sur le papier. Je me souviens de celui auquel j'ai succédé et qui m'avait dressé un portrait assez fidèle des fonctionnaires qui allaient passer sous ma coupe. Sauf que les feuilles annuelles d'évaluations ne correspondaient pas du tout à ce portrait et que j'héritais en théorie de gens tout à fait merveilleux, pénétrés par un esprit remarquable du service public et toutes les autres conneries qu'on peut lire sur les feuilles d'évaluation. Certes j'avais de bons fonctionnaires, mais je n'en manquais pas non plus de mauvais. Et il a donc fallu que je leur rentre dans le lard, ce qui les a quand même un peu surpris. Combat pas facile, mais dont j'estime m'être tiré pour le mieux, c'est-à-dire pas grand-chose tout de même par rapport à ce que j'aurais pu faire dans un autre milieu. Et je peux vous affirmer que ceux qui travaillaient correctement m'en étaient reconnaissants. Car la cohésion supposée des fonctionnaires a tout de même certaines limites. Mais encore une fois, j'ai dû rester bien en-deçà de ce que les individus en question méritaient.
C'est vrai qu'avec des contractuels l'affaire aurait été vite réglée pour certains. Fin du contrat, salut!
 
Une évolution de la fonction publique vers la contractualisation d'une partie importante de ses effectifs me parait donc une vraie solution d'avenir. Elle permettrait un ajustement des effectifs aux besoins quantitatifs et qualitatifs, aux contraintes budgétaires, et un management plus efficace, elle offrirait de plus larges possibilités de promotion aux meilleurs et ouvrirait la porte de sortie aux indésirables. Sans parler de moindres contraintes en termes de recrutement et d'améliorations salariales en corrélation avec de meilleures performances d'agents moins nombreux car débarrassés des scories de la fonction publique. Peut-être même que cette contractualisation aurait des effets positifs en termes de santé publique. Car quand on voit que le taux d'arrêts maladie dans les collectivités est de 22 jours par agent contre 10 dans le privé (depuis 2003 on n'ose même plus publier le chiffre pour les fonctionnaires servant l'Etat et qui était de 13 jours à cette date), on se dit qu'un peu d'adrénaline du fait de la précarité ferait sans doute bénéfique à la santé de nos agents.
Mais que ceux que ça fait frémir se rassurent : ce n'est pas pour demain, car aucun politique n'aura le courage d'engager cette réforme dans l'immédiat.
 
Enfin pour ceux qui pensent que c'est impossible, irréaliste ou irresponsable, je n'ai même as besoin d'exhiber ce qui se fait à l'étranger. Parce qu'en France ce système existe. Pour les militaires. Par exemple dans l'armée de terre le taux de contractuels est d'environ 60%, ce qui équivaut en gros à celui de la fonction publique allemande. Mis à part les officiers de recrutement direct (donc très peu de monde), et c'est même en discussion depuis un certains temps, tout le monde commence sous contrat. Le statut de carrière se gagne au mérite et à la réussite aux examens.

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