"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

samedi 30 mars 2013

Vers la fin de la défense (3 et fin)


Pauvre de moi. Alors que j'allais en arriver à mon billet conclusif sur ce thème du budget de la défense, ne voilà-t-il pas que notre président et chef des armées, à la teinture toute fraiche et au brushing impeccable (vous avez remarqué?) nous annonce que ce budget est sanctuarisé, comme celui de l'éducation nationale et celui du ministère de l'intérieur. Il ne l'a pas dit dans ces termes, ce qui n'est peut-être pas innocent, mais ça voulait dire la même chose. Même niveau de dépenses en 2014 qu'en 2013, et ainsi de suite jusqu'à la fin du quinquennat, soit un peu plus de 30 milliards d'euros.
Donc de la même manière que lui s'était trompé sur la durée de la crise et dans ses prévisions de croissance, je m'étais trompé, mais au moins personne n'aura à me le reprocher car mes erreurs d'appréciations sur de tels sujets ne nuisent à personne, sur les intentions du gouvernement vis-à-vis de la défense. Je dirai même que nous sommes un certain nombre, dont beaucoup de personnes sans doute bien mieux renseignées que moi, politiques et journalistes suivant le dossier, et hauts responsables militaires, à avoir eu une forme d'hallucination collective. Nous avions tous vu une hypothèse Y et une hypothèse Z, la première exterminatrice de l'outil de défense et la seconde aux conséquences douloureuses mais pas irréversibles discutées en conseil de défense, lequel est présidé par le président de la République, et voilà que celui-ci déclare, eh bien que non, le budget restera stable invoquant des raisons que je ne renierai en aucune sorte : capacité de faire face à des menaces grandissantes, souveraineté nationale, capacité de peser dans le monde…
J'espère me tromper évidemment, mais je n'en crois pas un mot. Déjà comme il n'a pas parlé d'inflation mais de montants identiques, on sent l'arnaque. Mais ça ne s'arrêtera sans doute pas là. Parce qu'on aura du mal à nous faire croire que tant de gens travaillaient sur des hypothèses folles. Pourquoi donc cette agitation autour de ce qui ressort comme un non sujet? Certes, et à mon grand étonnement par l'ampleur des résultats, un sondage de l'IFOP très récent commandé par le Figaro, mené entre les 12 et 14 mars de cette année, indiquait qu'une grande majorité de Français (90%) trouvaient primordial (28%) ou important mais pas primordial (62%) que la France reste une grande puissance militaire pour conserver une influence dans le monde elle-même perçue comme déclinante (58%). Je ne pense pas que ces résultats aient eu un poids sur la décision, du moins l'annonce présidentielle, en tout cas moins sans doute que la nouvelle fronde que commençaient à mener des responsables parlementaires de la majorité, s'inquiétant publiquement des conséquences sur la défense des options en cours de discussion. Ceci dit, il n'y a pas encore de quoi être rassuré.
Les plus attentifs auront en effet remarqué que le président aura évoqué la LPM (loi de programmation militaire) qui sera discutée à l'été et qui sera la traduction parlementaire pour les 5 ans à venir du livre blanc avec en corolaire les budgets associés. Or, c'est de notoriété publique, une loi de programmation est surtout là pour ne pas être appliquée, et ça c'est le gouvernement qui s'en charge. A titre d'information la LPM qui couvrait la période de la professionnalisation, donc entre 1997 et 2002, celle qu'il aurait fallu à tout prix respecter, a été rabotée de 20% soit une annuité sur les 5 courantes par le gouvernement Jospin. Et ça a laissé des traces. Le gouvernement pourra donc à sa guise renouveler cet exploit sans que cela ne bouscule trop l'opinion. Il y a toujours de l'agitation avant la parution d'un livre blanc et le vote d'une LPM, mais ensuite en gestion courante, les coupes sombres ne provoquent guère d'états d'âme au-delà des murs des commissions parlementaires de l'assemblée et du sénat. C'est en fin de loi qu'on peut juger de l'effort réel consenti à la défense, quand il est déjà trop tard. Donc méfiance.

J'en arrive donc, même si on restera à un niveau très théorique, à cause des annonces présidentielles, aux conséquences que peut avoir un budget de la défense. Je resterai assez succinct car c'est quelques pages qu'il faudrait encore pour expliciter tout cela.

Il fut une époque "bénie" dans le sens où les choses étaient simples. C'était quand le monde était bipolaire. Les armées étaient taillées, pas tant pour gagner une guerre conventionnelle contre les forces du pacte de Varsovie que pour montrer une détermination à résister, laquelle devait montrer la détermination à passer au stade supérieur c'est-à-dire l'utilisation de l'arme nucléaire d'abord tactique (tant pis pour les allemands qui se prenaient tout sur la tête) puis stratégique. C'est ce qu'on appelait la riposte graduée. Ça a peut-peut-être garanti quelques décennies de paix.
Et puis nous sommes passés très rapidement de l'utopie fukuyamesque de la fin de l'histoire, donc de la paix et de la démocratie gagnant le vaste monde, à un monde très compliqué, avec une multiplication d'enjeux et de menaces corrélées. Enjeux économiques, enjeux énergétiques, enjeux alimentaires dont l'accès à l'eau, enjeux territoriaux, enjeux idéologiques,…, tous constituent par leur traduction des menaces de conflits. Il n'y a par exemple qu'à considérer les luttes pour la suprématie sur l'Arctique ou l'intérêt porté par la Chine aux richesses de la Sibérie, ou encore le passage du monde arabe morcelé en pays confinés sous dictatures à un arc sunnite qui demain pourrait aller de Damas à Rabat. Quand un jour, sous l'impulsion de quelque taré, ou par désespoir, ou plus simplement parce qu'on aura calculé que les conséquences d'une guerre seront compensées par les choses qu'on aura conquises, quelqu'un décidera de sortir d'une situation de paix relative, tout pourra alors très vite dégénérer. Les dangers ponctuels du moment, Corée du Nord, Iran et même terrorisme, …, paraitront alors comme de joyeuses farces. En attendant, il faut tout en envisageant le pire se parer face à ces farces.
Tout ça pour dire que faute d'avoir des forces armées adaptées, et même dans le cadre d'alliances dont il ne faudrait pas croire qu'on puisse leur faire supporter le poids de notre défense sans risques et sans contreparties, surtout quand il ne s'agit que d'un pays chargé de soutenir tous les autres, donc faute d'avoir un outil de défense crédible, nous risquons de devenir de simples spectateurs d'événements susceptibles de nous anéantir.

Un des enjeux de la défense est évidemment notre indépendance et notre souveraineté. Certes des baisses continues du budget ont relativisé ces deux concepts et nous ont renvoyé loin des ambitions formulées par le général de Gaulle qui pouvait se permettre de chasser les américains du sol français. Dans ce cadre le retour, préparé par Chirac (avec la création sous son mandat de structures de commandement aux normes OTAN) et finalisé par Sarkozy dans les structures du commandement intégré de l'OTAN devenait inéluctable. Reste qu'il convient d'y tenir sa place et de ne pas succomber comme l'Islande à la tentation de l'abandon d'une défense nationale déléguée aux membres de l'OTAN qui se relaient sur son sol, enfin plutôt dans son espace aérien et dans ses eaux territoriales pour garantir sa souveraineté si on peut encore appeler ça ainsi. Donc pour y tenir sa place, il faut être capable de mener une opération, c'est-à-dire de disposer des outils de commandement. Nous les avons. Encore faut-il les maintenir.

Dans le même ordre d'idées, la France dispose d'un siège au conseil de sécurité de l'ONU qui lui donne ce droit de veto exorbitant. Cette place il fallait la mériter. De mauvaises langues ne manqueront pas d'arguments pour démontrer qu'elle a été usurpée, la notion de France nation victorieuse de la seconde guerre mondiale restant discutable. Mais disons que c'est fait. Il faut donc maintenant la justifier et ce n'est pas la tradition qui pourra le faire, ni le souvenir d'un passé glorieux. C'est seulement, selon les critères en vigueur, une certaine puissance militaire avec notamment une capacité de projection qui permet encore de donner une justification, même si elle s'affaiblit au sein du conseil de sécurité. Ce n'est pas l'UE, impuissance politique et militaire, qui peut encore prendre la place. Si la France venait à faillir, je proposerais volontiers la Suisse pour la remplacer. Vous comprendrez pourquoi en fin de billet.
En attendant, et comme le disait le président hier, la France pour garder cette capacité d'influence dans le monde et plus particulièrement sur sa zone d'influence (et non pas comme il a tenté de le faire croire dans des pays vis-à-vis desquels nous aurions des devoirs en tant qu'anciens méchants colonisateurs – la repentance ça suffit!!!!), il faut démontrer une capacité d'intervention en toute indépendance. Certes il n'a pas parlé de l'absence cruelle d'avions de transport, donc de moyens de projection, certes il n'a pas parlé de ces vecteurs de renseignement que d'autres mettent à notre disposition parce que nous n'en avons pas d'adaptés. Ça l'aurait obligé à concéder que les 1,51% du PIB consacrés à la défense sont insuffisants pour pouvoir revendiquer de telles ambitions, et quand même bien éloignés des 2% minimum préconisés par l'OTAN.

Et bien sûr sur un autre plan, intérieur celui-là, il ne faut pas négliger l'impact économique ou sur le chômage d'une réduction drastique du budget de la défense. Je ne ferai qu'évoquer certains points.
Dans mon premier billet j'ai parlé de ces élus qui pleurent à l'annonce de la dissolution ou du déménagement du régiment implanté sur leur commune. Inutile d'y revenir. Même Mamère s'il était dans cette position se révèlerait un fervent militariste.
Une baisse des budgets se traduirait inévitablement par une baisse des commandes d'armement. Donc par du chômage dans cette industrie florissante et une offre moins large pour l'exportation, mes matériels étant d'abord le plus souvent le résultat d'expressions de besoin de l'armée française avant d'être offerts à l'exportation. Quand on sait la part de cette industrie dans notre balance commerciale, on comprend aisément que d'un point de vue économique ce n'est pas forcément une heureuse initiative que de restreindre ces commandes.
Et puis alors que nous sommes dans une période de fort chômage, il faut comprendre qu'outre les pertes d'emploi dans l'armement, mécaniquement le nombre de chômeurs augmenterait si les recrutements étaient limités. L'armée est le premier recruteur de France. Il faut savoir que pour beaucoup de jeunes s'engageant, l'armée représente une possibilité d'avoir un boulot et de se former. Les niveaux des militaires du rang recrutés sont bas et le nombre de chômeurs potentiels s'ils n'avaient choisi cette voie est très élevé.

POURQUOI LA SUISSE POUR NOUS REMPLACER A L'ONU?
Pour terminer cette trilogie, et pour montrer à ceux qui en douteraient que l'armée française n'est pas surdotée, je vous livre cette comparaison entre les armées de terre françaises et suisses.
L'armée française dispose de 20 bataillons d'infanterie, l'armée suisse de 21 (le bataillon pris comme unité de mesure OTAN).
L'armée française dispose de 254 chars de combat, l'armée suisse de 224.
L'armée française dispose de 630 VBCI (véhicules blindés de combat d'infanterie) l'armée suisse de 1281.
L'armée française dispose de 128 canons de 155 mm, l'armée suisse de 224.
Comme je ne doute pas qu'elle ait les moyens financiers de nous racheter le Charles-de-Gaulle et de créer un groupe aéronaval sur le lac Léman, si on prend comme un des critères la puissance militaire pour être digne de figurer parmi les membres permanents du conseil de sécurité, la Suisse peut postuler.

 

 

 

 

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