"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

dimanche 27 octobre 2013

Droit du sol, droit du sang







Jean-François Copé a récemment soulevé une nouvelle fois un débat ancien puisqu'il date de plus de deux siècles sur l'acquisition de la nationalité française de manière automatique ou presque pour les enfants d'étrangers nés en France. Il ne s'agit pas ici de statuer sur les intentions de l'initiateur de ce débat qui en tant que tel feront toujours d'objet de polémiques, ces dernières devant être le motif suffisant aux yeux de certains pour enterrer tout idée de discussion, un peu comme ce fut le cas quand le précédent gouvernement proposa de réfléchir sur l'identité française. C'est là en effet une maladie bien française de préférer débattre sur le débat pour éviter que ce dernier ait lieu. Et on comprend pourquoi.

Il ne s'agit pas non plus de dresser un historique détaillé de l'évolution de la part respective des droits du sol et du sang. Les grandes tendances seules sont intéressantes et les motifs qui les sous-tendent. Car c'est évidemment de ce côté-là qu'il convient de réfléchir pour savoir quelle politique de la nationalité on veut mener.

Donc je disais plus haut que le débat est ancien.
Avant la Révolution, et inscrit dans le marbre de la loi depuis 1515, c'est le droit du sol qui prévalait même si pendant l'ancien régime il ne s'agit pas à proprement parler de nationalité mais de principe de sujétion au souverain. La Révolution ne remet pas en cause le droit du sol précisant que "sont Français les fils d'étrangers nés en France et qui vivent dans le royaume". Pendant ces deux périodes c'est donc l'attachement à la terre qui prévaut, au point que ceux qui quittent la France pour s'établir à l'étranger sont supposés perdre leur qualité de Français, qualité étant le terme prévalant pendant la période révolutionnaire plutôt que nationalité. Evidemment les émigrés, donc les ennemis de la Révolution sont visés en premier lieu.
Mais avec la Révolution, du moins pendant cette période de quelques années qui singularise la France en Europe apparait avec force le concept de nation. La nation est par nature excluante puisque distinguant ceux qui en font partie des autres. Et donc le code civil prend cela en compte en changeant radicalement de philosophie quant à la nationalité, cette fois le terme est bien présent, en la corrélant non plus à l'attachement au sol, mais à l'appartenance à la communauté nationale. Et c'est la mise en place du droit du sang, contre d'ailleurs l'avis de Bonaparte qui avait une vision plus large, peut-être parce qu'à quelques mois près il ne serait pas né sujet du roi de France, qui considérait qu'une éducation française suffisait à faire d'un étranger un Français. Si je mentionne ce détail, cette conception propre à Bonaparte, ce n'est pas tout à fait innocent, car elle reviendra en force plus tard et pourrait encore servir de base de réflexion aujourd'hui. Nous y reviendrons.
Donc en 1804 est instauré le droit du sang qui fait de la nationalité française un leg au même titre que le nom, même s'il reste possible pour les enfants d'étrangers nés en France de demander la nationalité française un an après leur majorité, droit d'ailleurs peu revendiqué car il suppose alors l'accomplissement du service militaire.
C'est d'ailleurs en grande partie ce dernier point qui fera revenir la droit du sol dans l'acquisition de la nationalité par les enfants d'étrangers nés sur le sol français. D'une part parce que les Français trouvent injustes que ces gens échappent aux dures obligations militaires auxquelles eux sont contraints et d'autre part parce que la France a besoin de soldats, notamment après la défaite de 1870, dans l'optique d'une guerre de revanche. Ainsi donc un premier pas est franchi  en 1851 avec  l'adoption du double droit du sol accordant systématiquement la nationalité française aux enfants d'étrangers nés en France et dont l'un des parents était lui-même né dans ce pays. Cette disposition est d'ailleurs toujours en vigueur. Et en 1889, réapparait le droit du sol simple faisant de tout enfant d'étranger né en France un Français à sa majorité, donc selon une formule qui servira de référence à quelques nuances près aux dispositions actuelles, même si la période vichyste a constitué une parenthèse constituée par un retour en arrière se manifestant en particulier par des retraits de nationalité. On pourrait aussi s'étendre sur la période d'après-guerre et le traitement des personnes vivant dans nos colonies, mais même si le sujet est intéressant, ce n'est pas celui du jour.
Revenons à 1889. Les motifs du retour au droit du sol sont une démographie défaillante, un besoin en soldats et un souci d'égalité devant les obligations militaires. Mais le principe de base qui sous-tend l'accès à la nationalité est que les individus bénéficiant de ce droit sont assimilés. On retrouve donc là l'esprit de ce que souhaitait Bonaparte et qu'il n'a pas obtenu.

Faisons un bon en avant dans l'histoire pour rejoindre notre époque.
L'assimilation est un principe qui a été rejeté pour faire d'abord place à l'intégration dont on ne sait plus guère ce qu'elle signifie ou signifiait. Et c'est pour cette raison sans doute, accordons au moins le fait qu'il y a moins d'hypocrisie dans ce terme, qu'on est désormais passé à l'inclusion. L'inclusion, ce n'est rien d'autre que la reconnaissance du communautarisme. On ne veut pas le dire mais c'est quand même bien ça. L'inclusion c'est autant de kystes plus ou moins volumineux dans le tissu national qu'il y a de groupes de personnes ayant les mêmes valeurs culturelles et/ou religieuses, ces valeurs étant évidemment étrangères aux nôtres. Les relativistes nous ayant appris que toutes les valeurs se valent, et les xénophiles, islamophiles et autres philes qu'il serait criminel d'exiger une acculturation des personnes désirant s'établir sur notre sol et même en acquérir la nationalité, et ceci étant devenu une valeur supérieure à toutes les autres et tenant même lieu de prescription, il faudrait donc se faire une raison.
Dans ce cadre, il est évidemment malhonnête d'invoquer le droit du sol comme une tradition républicaine, bien qu'elle fut surtout monarchique, qui deviendrait donc inviolable, qu'il serait interdit de modifier au même titre que la prime de salissure perçue par les conducteurs de motrices (mais peut-être devrais-je dire locomotive?). C'est malhonnête parce que les fondements, et même le contrat ont été modifiés. Car le droit du sol dans son esprit, lors de sa réintroduction en 1889, ne revenait pas au principe du droit du sol monarchique et révolutionnaire qui était corrélé à la terre, à l'espace géographique que constituait la France, mais à la communauté nationale, comme le droit du sang . En ce sens il en est relativement proche dans l'esprit, bien plus proche qu'il ne l'est du droit du sol qui existe actuellement. De fait le droit du sol actuel est une simple transposition de celui de l'ancien régime.
Quant aux motifs d'intérêt national, mise à part la démographie, mais est-ce vraiment un problème (une trop forte vitalité démographique de certaines catégories pourrait constituer à l'inverse un vrai problème dans le futur), j'ai du mal à en trouver. Bien sûr comme je ne suis pas baba devant le fumeux concept de diversité s'accompagnant de celui du vivre-ensemble, ce dernier signifiant en filigrane que ce n'est pas gagné, c'est normal.

Cela dit je ne suis pas fondamentalement contre le droit du sol. Loin de là. L'esprit de celui qui présidait en 1889 qui est finalement celui de Bonaparte me convient même très bien. Revenons à cet esprit, et tout ira bien. Il n'y a ni race, ni ethnie françaises qui mériteraient réification, et donc un attachement aveugle au droit du sang. Mais peut-être un esprit, une culture et des valeurs. Et si donc on refuse de revenir au principe de l'assimilation, alors adaptons ce droit en sélectionnant ceux qui parmi les enfants d'étrangers peuvent devenir Français, le méritent. Comme pour les naturalisations. Enfin comme on faisait encore il y a peu en vérifiant sérieusement le niveau de connaissance de la langue française et la connaissance, même basique, de notre patrimoine culturelle et de nos valeurs. Et que ceux qui ne satisfont pas à ces quelques critères basiques restent étrangers, des inclus.

La France a été constituée par un agrégat de régions, avec leurs langues et coutumes. Puis elle est devenue peu à peu une nation, le point d'orgue ayant été sans doute la charnière constituée par les années précédant et succédant l'entrée dans le 20ème siècle. La France post-nationale sera constituée de communautés avec leurs coutumes, leurs langues, leurs croyances. Les conditions d'accès à la nationalité en même temps qu'elles sont l'illustration de cette sinistre évolution, de ce retour en arrière mais en pire, y participent activement.

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