"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

mercredi 2 octobre 2013

Conseil des ministres : le recadrage





Mercredi matin-Palais de l'Elysée- Salle Murat.



Les ministres sont entrés dans la salle. Ils restent silencieux, se contenant de parler par groupe de deux ou trois mais à voix basse. Seuls les ministres de l'intérieur et du logement , situés à des coins opposés de la grande pièce ne parlent à personne. Et pour cause, chacun des participants les évite consciencieusement. Car on le sait, aujourd'hui l'un des deux ne fera plus partie du gouvernement. On en est sûr. Chacun a encore en mémoire le débarquement de la petite Delphine. Le président est devenu un ogre. Il n'est donc pas question de se montrer aux côtés de Manuel ou de Cécile, toute proximité avec le débarqué ou la débarquée du jour pouvant placer le contrevenant au pur bon sens et à la prudence la plus élémentaire sur la liste noire de celles et ceux qui ne survivront pas à un remaniement ministériel qui désormais se rapproche. Il serait d'ailleurs inutile de tenter de parler à l'un ou à l'autre. Ils sont comme tétanisés. La peur se lit dans leurs yeux. Leurs traits tirés, des cernes marqués sous leurs yeux indiquent clairement que ni l'un ni l'autre n'ont fermé l'œil de la nuit. Nuit qu'ils ont passé à évaluer et encore évaluer les probabilités de rester… ou de devoir partir. Bien sûr rester c'est mieux. Mais quand la probabilité de partir atteint les 0,5 il faut aussi savoir s'y préparer. Comment le faire? Discrètement? Avec fracas, en convoquant les médias? En dénonçant les chefs d'une équipe de laquelle on fit partie pendant presque un an et demi? Pas facile de se décider car il faut aussi penser à l'avenir. Manuel se prend à rêver que les choses s'arrangeront: peut-être qu'un bisou sur le front de Cécile…? Mais non c'est impossible. Cette fois on est allé trop loin. Quant à Cécile elle se dit qu'avec un cv comme le sien elle n'est pas prête de retrouver un job comme ça et qu'elle aurait dû se taire. Mais quand on est con on est con. On ne se refait pas. En tout cas, aujourd'hui, elle s'est faite belle. Pas de jean, pas de tongs. Habillée en dimanche comme on disait dans le temps.



L'huissier de service annonce l'entrée du président. Celui-ci entre précédé de son premier ministre avec lequel il s'est longuement entretenu. Manuel et Cécile savent que leur sort est fixé désormais. Reste à entendre le verdict. Les autres ministres sont tout aussi impatients. Chacun d'entre eux à misé en effet une petite fortune dans les paris organisés par Cazeneuve à l'occasion de ce conseil un peu spécial. Le ministre du budget ne pouvait pas laisser passer une telle occasion de tenter de renflouer les caisses de l'Etat. Un bon ministre du budget que ce Cazeneuve: il a même réussi à faire miser le président qui était trop indécis pour savoir quelle décision il prendrait. Du coup il a misé contre les deux.

Le président s'assoit, imité par les ministres qui d'ordinaire le précèdent. Ambiance!



-          - Bonjour tout le monde! Ça va?

Bruits de fond dans la salle qui veulent sans doute dire "bonjour aussi".



-          - Tiens Najat, ça te va bien tes mèches blondes.

-          - Merci  monsieur le président. C'est vrai que la teinture c'est très tendance en ce moment.

-          - Fayotte! Entend-t-on dans la salle.

C'est Laurent qui s'est lâché. Lui sait qu'il ne craint rien. Après sa brillantissime prestation diplomatique sur la Syrie, il se sait désormais indéboulonnable. D'ailleurs le président ne relève pas. Les autres répriment un sourire, se disant finalement que peut-être rien n'a changé.



-        -      Vous avez vu mon déplacement à Florange? Un vrai succès! Je suis toujours aussi populaire.

Râclements de gorge dans la salle.

Arnaud intervient.

-     -    Je pense que peut-être c'est davantage moi qu'Aurélie qui aurait dû vous accompagner. Enfin je dis ça comme ça, hein! Finalement ça aurait pu être la ministre déléguée aux Français de l'étranger. Ça aurait été aussi logique que celle de la culture.

-         -    Ne te fâche pas Arnaud. Mais d'abord je craignais qu'ils ne t'en veuillent là-bas car tu les as déçus avec les espoirs que tu leur as donnés. Je ne voulais pas t'exposer, tu comprends. Et puis Aurélie m'a demandé de lui rendre un petit service. Comme je ne passais pas très loin de chez sa maman, elle m'a demandé si je pouvais la déposer. Du coup il n'y avait plus de place dans la voiture. Et en solex tu aurais eu du mal à suivre quand même.

Arnaud s'étrangle dans sa marinière qu'il ne quitte plus désormais même si sa chemise la camoufle bien. Va-t-il démissionner aujourd'hui? Ça demande quand même réflexion. Peut-être la prochaine fois.



-        -    Et puis vous avez vu cette baisse du chômage? C'est encourageant, non? Encore deux bugs comme ça et j'aurai tenu mes engagements. Il faudra veiller à attribuer en priorité des nouvelles fréquences à SFR pour les remercier. Enfin moi je suis content. Tout va vraiment bien en ce moment. Le destin nous sourit vraiment.

   -   Au fait Manuel, il faudrait aussi tester le coup du bug sur les chiffres de la délinquance.

Manuel sort de sa torpeur angoissée. Il lui a parlé mais pas sur le sujet des Roms. Ça doit vouloir dire qu'il reste et que c'est la petite peste verte qui va dégager. Celle-ci d'ailleurs n'en mène pas large. Les gouttelettes de sueur s'amoncellent sur son front menaçant de réduire à néant son maquillage dans les prochaines minutes. Elle attend le coup de grâce. Ses sphincters menacent de se relâcher quand elle entend brutalement :



-       -    Cécile,…. Félicitations pour ta nouvelle loi sur le logement. Cette fois c'est confirmé, les investisseurs se détournent du locatif pour l'immobilier de bureaux. C'est super car il va bien falloir leur trouver des endroits pour travailler à tous ceux qui sortent massivement du chômage.

Autour de la table, c'est la stupéfaction gênée mais muette qui a remplacé les angoisses du début de ce conseil. Certains se disent qu'heureusement il n'y a pas de procédure d'empêchement car c'est bien avant le remaniement prévu après les municipales qu'ils seraient renvoyés à leurs occupations non ministérielles. Il y a même un ministre porté sur la caricature qui dessine dans son cahier un Hollande avec un entonnoir sur la tête. Pourvu que ça ne transpire pas, pensent-ils en général.


En tout cas Cécile d'un seul coup se sent mieux. Elle se sent si bien qu'elle se déchausse pour être plus à l'aise. Mais ça ne dure qu'un petit moment car Jean-Marc gâche brutalement tout replongeant rapidement Manuel et Cécile dans les abysses de l'angoisse. On le voit en effet glisser un mot à l'oreille du président qui regarde successivement Manuel et Cécile avant de prendre une mine renfrognée et de s'écrier :

-        -   Ah oui, j'ai failli oublier! Bon Manuel et Cécile, je vous ai écouté la semaine dernière. C'est pas bien du tout. Il faut cesser vos enfantillages. Vous êtes quand même des adultes, non? C'est la dernière fois que je vous le dis avant la prochaine. Si vous continuez, je vous envoie chez Valérie.  

Manuel et Cécile fondent en larmes. Non pas ça, pas chez Valérie. Mieux vaut encore être débarqué. Et les deux de promettre que jamais on ne  les y reprendra.



Najat intervient.

-        -     Mais qu'est-ce que je dis aux journalistes, moi?

-   -  Ne leur dis pas que j'ai été aussi sévère. Les Français ont besoin de penser qu'ils ont un président magnanime. Dis juste que l'ai recadré tout le monde et que je ne voulais plus de querelles entre les ministres. Et aussi que c'est moi le chef.

Eclats de rires dans la salle. Impossible de se retenir désormais.



-         -     Enfin, pas le chef, l'arbitre.

-         -    En tout cas pas celui des élégances! lance Laurent hilare.

Re-éclats de rires



-       -  Oui chef! Reprend Najat avec l'air outré en réaction à la sortie insolente de Laurent. (Elle, au moins, est assurée d'être reconduite dans un futur gouvernement). Mais sur le fond je dis quoi?

-     -    Ben rien! Enfin si quand même. Tu leur dis comme Jean-Marc. Que les Roms peuvent être intégrés s'ils respectent la loi.

-      -   Donc que les Roms ont vocation à être intégrés s'ils veulent bien être intégrés. Quant aux autres on les désintègre!  complète Laurent le Magnifique bien en verve ce matin, en se tordant de rire, rejoint bientôt pas tous ses camarades dans cette attitude.



Non finalement les choses n'ont pas changé et chacun peut terminer ce conseil  sereinement, en pensant à toutes ces choses agréables qui accompagnent un sacerdoce ministériel.

Quant à Bernard, il se réjouit car tout le monde a perdu son pari. On finira par la combler cette dette!




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