"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

mercredi 13 novembre 2013

Conseil des ministres. 13 novembre









L'ambiance est morose ce matin. On imagine les boites de pilules bleues ou roses au fond des poches ou des sacs à main qui permettent de se forcer encore à sourire. Peut-être même un ou deux pétards dans le sac en toile râpée de Cécile. C'est naturel. Mai 2012, l'euphorie consécutive au coup de téléphone de Jean-Marc, parfois même de François, annonçant l'admission  au cénacle, semblent loin, très loin. Certains en viennent même à considérer avec nostalgie l'heureuse époque irresponsable quand ils étaient dans l'opposition. Ils savent, mais curieusement ça ne parvient pas à les consoler, qu'ils y  retourneront vite. Ils le valent bien.
Finies les plaisanteries, les moqueries et même l'envie de médire sur tel ou tel ou encore telle. Ça sent trop le sapin. On accompagnerait volontiers l'éternel café qui précède le conseil d'un alcool fort, histoire de se sentir mieux. Mais ça ne se fait pas encore e ces lieux. Alors ceux qui n'en peuvent plus iront discrètement dans les toilettes tirer quelques petites gorgées de leur flasque assez plate pour ne pas être remarquée sous le tissu de la veste.
Bref rien ne va plus. Les dernières semaines ont été désastreuses, mais sans doute moins que celles à venir. Donc ça promet.

L'huissier de service annonce l'entrée imminente du président. Vie qu'on en finisse. Qu'on retourne dans son ministère pour y ruminer seul, sans témoins. C'est trop dur de se forcer surtout quand on sait que les autres aussi se forcent.  Qu'un seul craque et tous les autres s'écrouleront. Chacun le sait et souhaite donc que ça se termine vite.
Seul Laurent semble tenir la forme. Mais c'est vrai qu'il mène sa vie tout seul, sans contraintes.

Le président entre escorté du premier ministre. Ça ce voit qu'eux n'ont pas la pèche non plus. Le regard de cocker battu du président s'est affirmé. Ses rondeurs aussi. Quant à Jean-Marc  il a l'air complètement éteint. Encore plus que d'habitude. On n'aurait pas cru cela possible. Mais ça l'est.
Les deux se laissent choir lourdement dans leurs fauteuils dont on perçoit les gémissements. Surtout celui de François. Les autres accompagnent le mouvement. Le silence règne.
Après quelques secondes François prend enfin la parole.

- Bonjour. Bon ne tournons pas autour du pot. Ça va mal. Je ne peux pas faire un pas en dehors du bâtiment sans être sifflé. J'ai même peur des jardiniers qui ramassent les feuilles dans le parc. C'est insupportable. Il faut faire quelque chose. Quelqu'un a une idée?

-   Oui moi!
C'est Laurent qui vient de lâcher ces mots. François, le regard empli d'espoir, se tourne vers lui.
-   Des boules Quies!  Voilà ce qu'il te faut.

Cette réponse pour le moins inattendue a au moins le mérite de provoquer quelques sourires chez certains qui pensaient ne plus pouvoir y arriver. Mais des sourires vite réprimés, car François apparemment n'a pas trouvé ça drôle. Mais il ne dit rien. On ne se met pas à dos impunément l'ancien plus jeune premier ministre de la France.

-   Quelqu'un a une autre idée?

Cette fois c'est Cécile qui se lance.
-  Oui, j'ai pensé que si on devait remanier, même si je trouve Jean-Marc vraiment très bien. Enfin vous me comprenez, hein. Sous la pression…  Bon si on devait remanier le gouvernement dans les prochains jours, il faudrait penser à ressouder la majorité présidentielle. Et donc nommer un premier ministre issu des verts. Et on pourrait en profiter pour donner un signe fort, pour la promotion de la parité, en nommant une femme à ce poste.

- Oui  Cécile, c'est une idée. Mais tu comprends, je ne peux pas nommer Eva Joly à ce poste. Elle n'est pas vraiment populaire et on va se moquer de son accent.
-  Mais….
-  Une autre suggestion?

Manuel se lève, menton en avant. Il pose ostensiblement sa main sur l'épaule de Christiane. Les deux s'aiment.
- Je suggère une politique répressive. On les arrête et grâce à Christiane qui a mijoté une circulaire à cet effet, on les enferme tous. Par contre par manque de place il faudra libérer quelques milliers de délinquants. Mais eux ne sifflent pas.
-  Oui mais sous quel motif?
-  Outrage au président de la République
-  Ne serait-ce pas nous qui avons supprimé ce délit? s'exclame Laurent goguenard. Connaissant François, je savais que c'était une bêtise.
Manuel se rassied, l'air dépité.

Bernard qui s'exprime assez peu ordinairement lève le doigt.
- En tant que ministre du budget, j'ai pensé que nous pourrions tirer partie de la situation en taxant les siffleurs. Comme vous le savez un bon impôt est un impôt à assiette large. Et celle-ci ressemble davantage à un plateau qu'à une assiette.

Les larmes montent aux yeux de François. Jean-Marc a posé sa tête sur la table enfermée entre ses bras. Il faut terminer cette séance. Ça devient insupportable.

- Bon, je vous remercie pour votre aide qui m'est toujours aussi précieuse. Continuez à réfléchir.

Najat, l'air affolé, demande :
-  Et qu'est ce que je dis à la presse, moi?
-  Ben t'as qu'à leur dire que le président et le gouvernement ont réaffirmé leur détermination à combattre le racisme sous toutes ses formes et l'extrême-droite. Communication de crise, quoi!
-  Oui chef!

La séance est levée. Chacun remonte dans sa voiture. Christiane sur son vélo. En évitant soigneusement les journalistes présents dans la cour de l'Elysée. Encore 40 mois à tenir.


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