"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

vendredi 6 décembre 2013

Réflexion sur le général Aussarsses





Le général  Aussaresses est mort il y a peu. On se souvient de cet homme parvenu à la notoriété publique à plus de 80 ans. Lui ne s'indignait pas mais ramenait à la surface un épisode de notre histoire pas très lointaine que certains voudraient bien oublier tandis que d'autres s'en servent avec délectation pour salir la France. En faisant ça, en témoignant de son expérience, il ne pouvait donc que s'attirer le rejet des premiers et la haine des seconds.



Oui Aussaresses fut celui qui mit en œuvre la torture et les exécutions sommaires pendant la bataille d'Alger. Il était à l'époque chef de bataillon, commandant, et avait été appelé par le général Massu, commandant la 10ème division parachutiste à l'époque. Son expérience et ses résultats dans le renseignement l'avaient en effet imposé comme responsable du domaine à l'état-major de Massu. Et à ce titre il fut un des maillons essentiels qui permit de remporter cette fameuse bataille d'Alger qui n'en était guère une au sens commun du terme puisqu'elle consistait du coté du FLN à pratiquer un terrorisme aveugle visant essentiellement la population civile.  

Deux fillette victimes de l'attentat du milk bar
 

Non la bataille d'Alger n'était pas une bataille comme les autres. Elle se manifesta en France par l'abandon par le pouvoir politique de ses responsabilités qu'il délégua entièrement à l'armée. Elle fut d'un point de vue militaire un cas d'école. L'armée américaine notamment s'y intéressa beaucoup et  Aussaresses fut détaché en tant qu'officier de liaison à Fort Bragg, le sanctuaire des forces spéciales. La bataille d'Alger, c'est la guerre subversive, asymétrique, où l'ennemi ne porte pas d'uniforme, ne respecte pas les lois de la guerre, prend pour cibles civils, femmes, enfants, commet des actions qui le sortent de l'humanité. C'était ça le FLN pendant la bataille d'Alger, et il fallait éradiquer ce mal dans une course contre la montre. Or quand on confie aux militaires les pouvoirs politiques, de justice, de police, et enfin militaires, en leur assignant la mission d'en terminer au plus vite, en prenant soin de leur faire comprendre qu'ils ne seront ni contrôlés, ni jugés sur leurs actes car seul le résultat compte, il faut s'attendre, compte tenu des circonstances, compte tenu des caractéristiques de cette bataille que ça ne se passera pas d'une manière disons classique.



D'un point de vue technique, il faut aller vite, pour prévenir les attentats à la bombe, et il faut reconstituer les réseaux. Le renseignement est donc au cœur du dispositif. Or le renseignement, à l'époque et compte tenu des circonstances ne peut guère être que d'origine humaine. La terreur appliquée par le FLN à la population qu'elle prétend libérer du joug français limite les candidats à la délation. On peut donc infiltrer ou … ou? Il y a bien eu des opérations d'infiltration, mais essentiellement dans une seconde phase, notamment par le biais d'agents du FLN retournés… dans la première phase. La seconde phase s'est d'ailleurs effectuée sans Aussaresses et sans le colonel Trinquier autre acteur clé de cette première phase, ce qui semble indiquer peut-être que la torture et autres méthodes coercitives n'ont été envisagées  que dans une période transitoire parce qu'elles semblaient nécessaires. C'est d'ailleurs le propos d'Aussaresses qui déclarait que c'était une nécessité à ce moment-là et que de ce fait il ne regrettait rien.



J'ai évidemment lu son livre qui est très descriptif et ne laisse aucune place à d'autres considérations que les faits. Un livre documentaire, qu'on peut trouver froid car ni les sentiments, ni le regret, ni la satisfaction n'y trouvent place. Il estime avoir fait ce qu'il devait faire compte tenu des circonstances.



Alors maintenant comment faut-il juger cet homme? La difficulté réside déjà dans ce qu'on lui reproche.

Si on ne devait s'attacher qu'aux résultats pour juger de l'opportunité de la méthode, c'est-à-dire être purement rationnel, on pourrait dire que ce qu'il a fait a porté ses fruits. La bataille d'Alger a été gagnée. Le FLN a été éradiqué d'Alger et jusqu'à la fin de la guerre il n'y a plus jamais eu d'attentats dans cette ville. Des dizaines de gens lui doivent peut-être leur vie ou leur existence sans le savoir.

Le colonel Godard présente à la presse 33 bombes récupérées lors d'une fouille dans la Casbah d'Alger.

Si on se place sur un plan éthique la bonne question à se poser est : "peut-on se rabaisser au niveau de son adversaire pour mieux le combattre?" C'est la question complète qu'il faut se poser évidemment même si ceux qui ont pris l'habitude de  critiquer sans réserve l'armée française pendant cette période bénissent souvent les salauds qui se trouvaient en face.

Cette question pourrait être éludée facilement. On pourrait juste dire qu'Aussaresses, vu son grade à l'époque n'était qu'un exécutant, que les vrais responsables se trouvaient plus haut dans la hiérarchie militaire et surtout peut-être politique. On y reviendra plus loin pour mieux comprendre ce qui lui est arrivé après son témoignage. Mais en attendant, on ne peut se contenter de cela. Un homme reste un homme, même inséré dans une hiérarchie et possède le droit de dire non. Or il n'a pas dit non. Certains l'ont fait et ont été sanctionnés… parle pouvoir politique.

Pour ma part je me garderai bien de le juger. Parce que je suis bien incapable de dire ce que j'aurais fait dans les mêmes circonstances. Je ne sais pas si à la vue de ces cadavres d'innocents, de ces corps d'enfants mutilés par les bombes, je n'aurais pas mis un voile sur ma conscience, sur mes valeurs pour faire cesser ça. Mais je ne doute pas que certains connaissent la réponse. D'ailleurs certains commentaires lus ailleurs sont clairs : c'est un criminel et rien ne justifie la torture. J'envie les gens qui ont des certitudes. Moi, je me suis posé la question pendant longtemps et je bénis le ciel de ne pas m'avoir donné l'occasion de trouver la réponse.



Maintenant, et c'est peut-être le cœur du problème, ce n'est peut-être pas tant d'avoir torturé et pratiqué des exécutions qui fit reproché à Aussaresses, que de l'avoir assumé. Je n'ose pas dire révélé car évidemment l'usage de la torture et la pratique des exécutions sommaires, appelées communément corvée de bois, étaient bien connues. Mais on n'en parlait pas ou plus. La loi d'amnistie y avait contribué.

Et voilà qu'un vieil homme sort du silence, se dépare de la discrétion qui fut la sienne pendant toute sa vie et sa carrière, et jette le pavé dans la marre. Et ça on ne lui a pas pardonné. Certes les indignés de l'époque trouvent enfin un visage, un nom à mettre sur la torture. Ceux qui l'ont pratiquée généralement le nient. Mais les autres…

Les autres, ce sont le président de la République en personne, et le commandement militaire de l'époque du la publication du livre. Parmi les chefs militaires de l'époque, aucun n'a fait la guerre d'Algérie, et à fortiori été confronté à ce type de situation où il faut choisir. Trop jeunes. Bien sûr, ni le président, ni les militaires n'ignorent rien de ce qui s'est passé. Mais ce vieux général en deuxième section est insupportable, pas à cause de ce qu'il a fait, mais parce qu'il le dit et même sans se repentir. Il faut donc qu'il paie. Et pour cela on agit comme si on découvrait les faits, comme si la vérité apparaissait brutalement et avait en plus cet avantage d'avoir un visage.

Le général Aussaresses est donc, sur proposition des plus hautes autorités militaires de l'époque, mis à la retraite d'office, ce qui est davantage symbolique qu'autre chose, mais le symbole est fort, c'est un symbole d'exclusion. Et sur l'initiative du président de la République, Jacques Chirac, il se voit exclu de l'ordre de la légion d'honneur. C'est sans doute la sanction la plus dure, car elle balaie d'un revers de main l'ensemble d'une carrière, dont une bonne partie se passe en temps de conflit. Elle balaie de la main les actions effectuées en territoire occupée par le lieutenant Aussaresses et qui lui vaudront la croix de chevalier de la légion d'honneur, elle balaie son action dans la création du 11ème choc, l'ancêtre du service action de la DGSE. Et ceci pour moi est une honte. Car en toute logique seuls les faits auraient pu justifier ça, il est pourtant monté en grade dans l'armée et dans l'ordre de la légion d'honneur postérieurement aux faits, connus, et non leur rappel. On n'aura pas l'hypocrisie de parler de révélation.



Du fait de son témoignage, il a été condamné avec ses éditeurs pour apologie de la torture. Les historiens n'ont plus qu'à se méfier. Les éditeurs ont fait condamner la France pour ce jugement par le CEDH. Aussaresses pour sa part n'avait pas soumis de recours devant cette juridiction.



Il a tété abandonné par tous, même sa famille. Il a servi de parfait bouc-émissaire.

Seule aujourd'hui l'union nationale des parachutistes ose encore célébrer sa mémoire.



Son histoire reste à méditer. Bien sûr à cause de ce qu'il a fait, mais surtout à cause de la manière de considérer la vérité quand elle est exposée publiquement. Notre société préfère visiblement le mensonge ou le non-dit à la vérité. Et malheur à celui qui l'exprime, surtout quand il ne peut être démenti.



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