"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

mardi 18 mars 2014

La Crimée redevient russe. Informations et désinformations











Le référendum organisé dimanche en Crimée et portant sur le rattachement de la péninsule à la Russie vient de trouver sa traduction dans la signature par le président Poutine d'un décret confirmant ce rattachement. Il ne reste plus à la Douma qu'à entériner ce décret, ce qui se fera très prochainement.

Le traitement de ces affaires par les chancelleries, par les médias, est assez stupéfiant  L'invocation douteuse du droit international de la part des occidentaux accompagné d'informations tendancieuses ou parfois très incomplètes des médias ont jalonné les péripéties d'une affaire commencée il y a plusieurs mois déjà lorsque le président Ukrainien Ianoukovitch revenant sur ses intentions repoussait la signature du traité d'association entre l'union Européenne et son pays.

On ne va pas reprendre l'affaire dans ses détails, 3 précédents billets ayant, je l'espère, suffisamment dégrossi cette situation. On s'arrêtera donc à quelques éléments portant sur la qualité et la pertinence des arguments mis en avant pour expliquer que ce dénouement était illégal, et sur la qualité de l'information proposé par les médias pour éclairer sur la situation ukrainienne.

Commençons par ce dernier point. S'i c'était agi de l'instruction d'un procès on pourrait déclarer sans se tromper que cette dernière a été menée essentiellement à charge, voire exclusivement s'agissant de certains médias français.
Prenons un exemple, sans grande conséquence. Il y a deux week-ends de cela nos médias parlaient d'une manifestation se déroulant à Moscou d'opposants à la présence russe en Crimée. Certes elle a eu lieu. Mais dans le même temps se déroulait une manifestation de soutien de soutien à la politique russe mobilisant énormément plus de monde. Celle-ci a été purement passée sous silence ou presque. Le week-end dernier, une manifestation d'opposants au rattachement de la Crimée à la Russie avait lieu dans cette même ville. Et là nos médias, relayant l'AFP, réussissent le tour de force à trouver davantage de manifestants que les organisateurs eux-mêmes. Et pas seulement quelques centaines, la différence étant de 20000. On connaissait les divergences entre la policier et les organisateurs concernant les comptages, les écarts ressemblant étrangement en  termes d'ordre de grandeur à ceux qu'on observe en France, mais on n'avait jamais encore vu des journalistes trouvant davantage de manifestants que les organisateurs. J'en déduis qu'ils ont compté les pieds et ont oublié de diviser par deux ensuite. Nous savons désormais que chaque mensonge quand il vient d'un bord n'en est plus un et que des apparences défavorables peuvent s'expliquer aisément.
Mais de cela à la limite on pourrait se contenter de rigoler, les conséquences n'étant pas dramatiques.
Ce qui est plus grave, beaucoup plus grave, c'est la manière dont a été traité la fameuse, mais peut-être pas tant que cela puisqu'il il fallait saisir l'information, donc la fameuse conversation téléphonique piratée entre l'admirable lady Ashton et le premier ministre estonien qui faisait part de doutes sérieux sur l'origine des tirs ayant couté la vie à de nombreux manifestants sur la place de l'Indépendance à Kiev. Quelques journaux allemands et britanniques ont développé le sujet. La presse française, et pas toute, loin de là, s'est contenté de l'évoquer dans quelques entrefilets. Pourtant ça, ça mérite une vraie enquête. Une enquête sur les faits et une enquête pour comprendre pourquoi une enquête officielle n'a pas été ouverte, et par les nouvelles autorités locales, et par la fameuse communauté internationale. Des esprits malveillants pourraient y voir la volonté de masquer certains faits qui pourraient remettre en cause une politique américano-européenne reposant sur la reconnaissance d'un gouvernement dont la seule légitimité aurait été d'avoir renversé un dictateur sanguinaire et corrompu.
Tiens, au fait puisqu'on parle de dictateur sanguinaire et corrompu, comment se fait-il que nos journalistes ne se soient pas posé cette question pourtant simple : pourquoi jusqu'à la veille de la signature avortée du traité d'association Ianoukovitch était-il encore un interlocuteur respectable, tandis que le lendemain il était justifié de demander son départ parce qu'il ne l'était pas? Remarquez cette question pourrait être posée régulièrement. Ben Ali, Kadhafi, Moubarak, El Assad, Saddam Hussein, et bien d'autres encore pourraient être l'objet de cette question. Cette question à laquelle on nous répond sans cesse avec des arguments "moraux" qui ne montrent que mieux l'amoralité de ceux qui les utilisent. C'est à peine un reproche, si on se réfère à la seule règle qui vaille en politique étrangère et qui est que les Etats ont le devoir d'agir selon leurs intérêts. C'est juste le constat d'une hypocrisie s'expliquant par certaines évolutions qui veulent que désormais, on justifie ses actions au nom du bien et du mal. Tu parles! Le grand problème de ce type de démarche est qu'il induit forcément de la désinformation ou de la mal-information. On transforme certaines données ou on les exagère et on en oublie d'autres volontairement. Et l'Ukraine est dans ce domaine un cas d'école. Le citoyen de base s'il veut se faire une idée honnête de la situation doit aller voir ce que dit l'autre côté (ne parlons pas d'adversaire), tout en étant conscient que l'information qu'il recueillera ne sera sans doute pas davantage objective, doit replonger dans ses livres d'histoire, dans des traités de géopolitique, car souvent les situations présentes sont la conséquence d'épisodes parfois anciens, dans les événements récents,… Parfois, c'est une aubaine, certains de nos journaux, mais pas tous, ouvrent leurs colonnes à des paroles "dissidentes", du moins contraires ou nuancées par rapport à la parole officielle que ne font guère autre chose que colporter les médias. En fait c'est quasiment un vrai boulot qui consiste à faire ce que ne font pas ceux qui devraient le faire. On comprendra alors que le temps, l'envie, les compétences sont des variables qui jouent en faveur de la version officielle. Quoique dans l'affaire ukrainienne, il semble que ce soit moins le cas, bien moins en tout cas que lors de la guerre dans les Balkans où peu de voix s'élevaient pour défendre les Serbes. La raison en est peut-être une défiance accrue vis-à-vis de l'Union Européenne et le refus d'une part de voir l'Europe encore s'élargir à des pays qui ne remplissent pas les conditions, et d'autre part, de devoir payer, à fonds perdus, pour un pays bien éloigné. C'est du moins ce que révèle un sondage récent sur les opinions publiques allemande et française sur ces sujets de l'élargissement et de l'aide financière à l'Ukraine. Peut-être qu'en période de crise, quand on nous invite à nous serrer la ceinture parce que les caisses sont vides, les justifications de la politique étrangère par le bien et le mal ne rencontrent plus guère d'écho dès lors que la conduite de cette-ci induit un coût financier supplémentaire et donc de nouvelles restrictions.
Mais de cela j'imagine que les gouvernements et encore plus la commission de Bruxelles n'en ont cure. Surtout quand c'est Obama qui dicte les conduites. Tout cela ne peut qu'encourager à forcer le trait pour justifier ces sacrifices. Le méchant doit être encore plus méchant et heureusement que les gentils, la communauté internationale autoproclamée, en fait la communauté fidèle aux Etats-Unis, sont là pour l'empêcher de nuire. Sauf que cette fois c'est loupé.

Ça n'aura pas été faute d'essayer. Les arguments se parant du droit international, je vais y revenir, n'auront eu aucun effet. Pas plus que des sanctions dont le caractère dérisoire, la prééminence des intérêts sur le "bien" défendu ne pouvant guère être laissée de côté, constituerait presque un encouragement à aller plus loin, en tout cas à ne pas céder sur l'essentiel de la part du prétendu camp du mal. C'est pathétique!
A ces gens-là il ne reste que la parole, plutôt la parlote, que même les moulinets de bras ne rendent pas crédible. Et en plus leurs arguments sont d'une telle faiblesse qu'on se demande pourquoi ils tiennent autant à se ridiculiser.
On leur dit droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ils répondent intangibilité des frontières. Alors on leur réplique Kosovo. Et là ils ne savent que dire "mais c'est pas pareil!". Effectivement c'est pas pareil, c'est pire. Regardez une carte du Kosovo dans l'Europe, sa taille, ses accès maritimes qu'il n'a pas, sa population, ses infrastructures, ses richesses naturelles, le niveau de développement des services, corrélez-à ça à l'envie qu'on pourrait avoir d'investir dans ce pays, et tout de suite on voit que cet Etat n'est pas viable. Pourtant ils l'ont reconnu au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Les Russes, Poutine déjà, étaient contre. Et de déclarer avec la rudesse du ton qui peut être la sienne, mais au moins on comprend ce qu'il dit, que "ça vous reviendra dans la gueule". Et c'est aujourd'hui que ça se passe. Boum!
On pourrait continuer ainsi. Mais là je préfère vous mettre en référence un papier de Jacques Sapir dans le Figaro qui expliquera ça mieux que moi. Néanmoins pour tous ceux à qui ça donnerait des boutons d'aller jeter un œil sur le site de ce journal, je résume:
1. La Crimée était russe depuis près de 3 siècles quand elle a été "offerte" par Khrouchtchev à l'Ukraine (soviétique) sans demander l'avis aux populations.
2. Le gouvernement ukrainien étant le produit d'une révolution et celui-ci ayant dissous la cour constitutionnelle, il n'est pas justifié de se référer à une constitution n'existant plus de fait et de juger des actes inconstitutionnels dans la mesure où le seul organe qui pourrait le faire n'existe plus.
3. Le gouvernement reconnu par les occidentaux ne représente pas la nation ukrainienne mais simplement une partie de cette nation. En conséquence l'Assemblée de Crimée était fondée à ne pas reconnaitre ce gouvernement autoproclamé et à faire valoir le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes aux dépens de l'intangibilité des frontières, argument qui aurait été recevable dans une situation normalisée. De fait la reconnaissance de ce gouvernement par les occidentaux ouvrait la porte à la séparation.
4. Les doutes sur le bon déroulement du référendum auraient pu être levés ou confirmés par la présence d'observateurs. Or l'OSCE a refusé d'en envoyer. Si doute il y a il doit donc profiter aux autorités de Crimée, les occidentaux s'étant abstenus. Quelques parlementaires européens ont assisté aux opérations de vote, de façon volontaire, et n'ont rien trouvé de scandaleux.
5. Des pays comme la France qui a ignoré le résultat du référendum de 2005 ou qui a accepté par le passé un référendum sur Mayotte rattachant cette île à la France, contre une résolution de l'ONU, sont mal placés pour se référer au droit quand il s'agit de la Crimée.
6. Il faut désormais accepter le fait que la Crimée est redevenue russe. La sortie de crise, surtout l'évitement d'une guerre civile dans l'est de l'Ukraine, ne peut passer que par une pression conjointe des occidentaux et des Russes sur les autorités en place à Kiev pour qu'elles constituent un gouvernement d'union nationale avec donc toutes les parties et désarment les groupes extrémistes avant d'engager l'élection d'une assemblée constituante. La signature d'un accord international avec le gouvernement actuel irait contre le droit.

Je ne crois pas en la sagesse des européens qui veulent signer vendredi prochain ce fameux traité qui a mis le feu aux poudre avec ce gouvernement illégitime et qui s'est constitué en enfreignant les accords signés la veille entre les représentants de l'UE, le gouvernement élu de l'Ukraine et les représentants de l'opposition armée. Cet accord qui comporte un volet sécuritaire (intégrant de fait l'Ukraine dans l'OTAN) n'est pas davantage acceptable par les Russes aujourd'hui qu'il y a 4 moins. Soit ils n'ont rien appris, soit ils veulent poursuivre une confrontation qui ne leur rapportera rien, bien au contraire. Ils mènent un combat qui n'est pas le leur.

Bonus : une histoire simplifiée mais néanmoins éclairante de l'Ukraine.

 


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