"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

jeudi 15 mai 2014

Maman, t'aurais pas une jupe à me prêter?





La France va mal. Croissance nulle au premier trimestre, le retournement c'est pas encore pour maintenant, chômage toujours en hausse, on n'ose même plus parler d'une inversion qui n'a pas eu lieu à l'échéance promise, insécurité en hausse, c'est les statistiques qui déconnent, immigration incontrôlée, c'est un pur fantasme, l'Europe n'est pas une passoire, demandez aux Italiens, intégration en panne, oui mais avec l'inclusion vous allez voir ce que vous allez voir, diplomatie en berne, vite Barack dis-nous ce qu'on doit faire, politique industrielle en panne, les patrons c'est tous des cons, des salauds et des menteurs dixit le ministre en charge, dette qui n'en finit pas d'augmenter, bon va falloir vous sacrifier, enfin certains…
Bon on va s'arrêter là. On aurait pu parler de l'écotaxe ou de l'éco-pas-taxe mais redevance, des prochaines ponctions sur le budget de la défense, de l'Europe… Les sujets ne manquent pas pour nous porter au  pessimisme.

Par contre il y a un domaine où il semble que la France ait fait de réels progrès. C'est en matière d'éducation nationale. Ayant porté les élèves à ce haut niveau  de connaissances, de compétences, de capacités de raisonnement, bref toutes ces choses qu'on nous envie, n'est-ce pas?, d'ailleurs y a qu'à voir les statistiques  ou les chiffres des résultats au bac et même à la licence, des chiffres qui ne déconnent pas eux et qui démontrent l'excellence de notre système éducatif, donc ayant pleinement réussi au moins dans le domaine de l'instruction, l'éducation nationale pour ne pas trahir son nom, peut enfin se consacrer à l'éducation de nos enfants.
Après quelques tentatives parfois houleuses dans les classes maternelles et primaires, un rectorat, celui de Nantes a cru bon devoir démontrer qu'il avait compris le sens du combat à mener pour que filles et garçons cessent de faire des différences entre eux.

Mais soyons justes et rendons à César ce qui lui appartient. L'initiative qui consiste à mettre un maximum de jeunes et pourquoi pas leurs professeurs en jupe ou encore, pour ceux qui auraient honte de leurs jambes trop velues à porter un badge de soutien, vient de lycéens conscients du caractère insupportable des inégalités entre filles et garçons, entre femmes et hommes (respectons l'ordre alphabétique) les premières ne cessant de subir des discriminations dans notre horrible société. Tout le monde le sait. Sous-payées dans le privé,  sous-représentées dans la vie publique, harcelées sexuellement dans les armées, etc., c'est un véritable calvaire que vivent les femmes en France. Il faut donc lutter. Et qui reprocherait à de jeunes lycéens, bientôt citoyens ou même l'étant déjà pour certains se s'engager dans des combats qui leur permettront dans 25 ou 30 ans de dire à leurs enfants combien ils étaient progressistes quand ils avaient leur âge quand ces derniers leurs reprocheront leur embourgeoisement qu'ils décèleront derrière ce souci obsédant parfois d'avoir de quoi les nourrir, les habiller et payer leur éducation. Mais cessons de nous projeter dans le temps et louons cet esprit jeune qui permet de se mobiliser pour ces combats à la mode qui font prospérer les associations et permettent au gouvernement de se trouver du grain à moudre à bon compte. Au moins pendant qu'on s'occupe de ces sujets, on occupe les esprits. Et puis il fait bien trouver quelque chose pour simuler des divergences idéologiques entre gauche et droite, faute de pouvoir en trouver dans les domaines économiques , sociaux et financiers, puisque c'est l'Europe qui décide.

Donc cette belle initiative lycéenne a été, disons saluée plutôt que récupérée par le rectorat de Nantes sans doute quelque peu désœuvré depuis les succès de l'enseignement signalés plus haut. Le rectorat effectivement enthousiasmé et trouvant sans doute l'initiative en résonnance avec le combat mené par notre charmante ministre des femmes au sourire si carnassier en liaison avec l'éducation nationale, a apporté son soutien plein et entier à l'initiative en encourageant son développement. Dans un dossier de presse montrant son implication le rectorat décrit les objectifs de cette journée de sensibilisation et les modalités de participation, cite les lycées méritants, du moins qui participent, mais c'est pareil, et souligne le caractère international du combat en précisant qu'un élève à l'origine de l'initiative qui séjourne actuellement aux Etats-Unis, à Seattle, dans le cadre d'un échange scolaire est parvenu à persuader le lycée où il se trouve de réaliser la même chose. Le génie français s'exporte encore. Dommage par contre qu'il n'y ait pas de programme d'échange avec le Nigéria.

Alors évidemment l'initiative, et sans doute bien davantage parce qu'elle a été reprise par le rectorat qui lui donne ainsi un visage quasi-institutionnel, n'a pas manqué de soulever des débats. C'est le retour de la théorie du genre pur les uns, c'est un combat légitime pour les autres. Au passage on remarquera que les esprits sont loin d'être apaisés et qu'à la moindre étincelle, les feux se rallument. On pourra se demander comment on en est arrivé là.
Mais tentons plutôt de comprendre le sens de cette initiative.

J'ai entendu parmi les défenseurs du projet et notamment d'une des lycéennes à son origine cette référence au film "La journée de la jupe", excellent film où le personnage campé par Adjani montre à la fois la difficulté d'être une fille/femme dans les banlieues et enseignant dans un lycée de ces zones qui échappent à la République.
Mais le problème est justement que ce que dénonce le film n'est pas du tout la même chose que ce que dénoncent les lycéens. C'est même presque l'inverse.
D'un côté s'élève la revendication pour les filles et les femmes de pouvoir assumer leur féminité, donc de pouvoir marquer leur différence, tandis que de l'autre il s'agit de gommer les différences en demandant aux garçons de singer une féminité qui n'est pas la leur.
D'un côté on dénonce une stigmatisation de la féminité, de l'autre une inégalité sociale entre les hommes et les femmes. C'est loin d'être la même chose. Le droit à la différence se situe à un autre niveau que celui de l'égalité. Les deux sont légitimes, peuvent même être menés de front mais ne doivent pas se confondre.

Et donc plutôt que de suivre béatement un mouvement peut-être bien sympathique, l'éducation nationale, puisqu'elle se targue de vouloir éduquer, devrait attirer l'attention dur le sens des mots, sur la nature des causes qu'on revendique, et sur les moyens mis en œuvre dans ce cadre.
On pourrait commencer par souligner que faire évoluer symboliquement les garçons vers la condition de fille par le port de la jupe, revient tout aussi symboliquement à reconnaitre une infériorité à la femme. Pour obtenir l'égalité on demande au dominant de se transformer en dominé, donc de s'abaisser, de rejoindre une condition inférieure. La voie la plus simple.
On pourrait faire remarquer que l'égalité n'a de sens que dans la différence, que la recherche de l'uniformité n'a rien à voir avec elle, que si on est tous pareils on cesse d'exister, d'être un autre.
Et puis on pourrait leur dire à ces jeunes, qu'à un mois du bac, ils feront davantage pour leur condition future d'apprendre et de réviser que de perdre leur temps dans un carnaval qui les distraira bien plus qu'il ne leur apportera. Et que leur place dans la société, dans la nôtre, dépend bien plus d'eux, de leurs talents, de leurs compétences, de leur travail, que de ce qui se trouve sous la jupe qu'ils porteront lors de cette journée.
C'est davantage cela qu'on a le droit d'attendre de l'éducation nationale que ce suivisme bon marché.



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