"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

samedi 3 janvier 2015

Autour de la légion d'honneur





Comme chaque année, le 1er janvier permet de découvrir les nouveaux promus dans l’ordre de la légion d’honneur. Il s’agit en fait d’une des trois promotions à titre civil, les deux autres se situant à l’occasion de Pâques (encore une atteinte à la laïcité ?) et du 14 juillet. Les militaires n’ont, quant à eux, droit qu’à deux promotions, une en mai pour les réservistes et les anciens combattants et une en juillet pour les militaires en activité.
Et comme à chaque fois, du moins quand ça concerne les civils, personne ne prêtant évidemment attention aux promotions à titre militaire, des critiques fusent parfois agrémentées de coups d’éclats, ou de pseudo coups d’éclats quand l’un des élus refuse sa nomination. Le terme de refus de sa nomination est d’ailleurs impropre puisqu’il s’agit généralement d’un refus d’être décoré, ce qui n’implique pas une radiation du décret de nomination, mais juste une entrée différée, peut-être indéfiniment, mais toujours à la discrétion de l’intéressé, dans l’ordre. Il semblerait que seul Maurice Clavel, il y a presque un siècle ait demandé et obtenu un décret rectificatif annulant sa nomination. Ainsi Piketty, s’il le souhaite, dans un an, dix ans ou même davantage pourra toujours revenir sur sa décision. Une place au chaud lui est réservée.

Enfin « une place au chaud », façon de parler. Parce qu’à première vue, je ne vois aucun avantage réel ou matériel d’être décoré de la légion d’honneur. Attribuée avec traitement (réservé aux militaires) elle offre une gratification d’environ 7 euros par an aux chevaliers de l’ordre à laquelle le plus souvent ils ont d’ailleurs renoncé au profit de la société des membres de la légion d’honneur. Ça ne sert pas de coupe-file non plus, ça n’offre pas la possibilité d’avoir du rabiot dans les pinces-fesses et on n’est pas mieux servi ni chez son boucher ni dans les administrations. C’est même pire que ça : il faut payer des droits à la Grande Chancellerie, environ une vingtaine d’euros, et se payer sa médaille. Sans parler du pot qu’on offre à ses copains, collègues et autres parasites qu’on ne peut pas éviter pour célébrer ça. Donc ça coûte plus que ça ne rapporte.
Je disais simplement ça par rapport à certaines réactions qui laissent supposer qu’une entrée dans l’ordre des légionnaires change la vie. Que ceux qui pensaient cela se rassurent donc : ça ne rapporte rien.

Il faut donc se placer à un autre niveau, celui d’une forme de reconnaissance de ses mérites par la nation représentée par son gouvernement puisque ce sont les ministères qui font la demande d’attribution après avoir effectué un tri parmi les dossiers constitués par une administration centrale, un préfet, une association, une personnalité politique ou un groupe de 50 personnes. Car en effet, on ne demande pas la légion d’honneur, d’autres s’en chargent pour vous. Même si rien n’empêche de signaler de façon non officielle et discrète vos éminents services auprès de ceux qui pourront faire quelque chose pour vous. Car le ruban rouge reste prisé. Sans doute parce que rare. Du moins relativement. En effet moins de 100 000 Français vivants sont concernés, soit 1 sur 650.
Les critères d’attribution restent assez vagues. De fait mis à part les intéressés et ceux qui les ont proposés, et saufs cas particuliers, parfois étonnants d’ailleurs, j’y reviendrai, on ne sait guère quels mérites particuliers ont pu mener à une telle distinction. La lecture du J.O. donne quelques éléments à ce sujet, mais pas toujours, en mentionnant l’activité professionnelle ou associative des intéressés ainsi que leur ancienneté, cette dernière semblant être un critère majeur surtout quand il s’agit de membres de la fonction publique. Mais on reste parfois étonné. Voilà quelques exemples tirés du J.O. du 31 décembre :
Services du premier ministre :
Mme B., présidente du conseil d’administration d’une société anonyme d’hôtels ; 54 ans de services
M. L., architecte d’intérieur et décorateur, président-directeur général d’une société d’architecture ; 48 ans de services.
Mme M, présidente d’un centre d’information sur les droits des femmes et des familles ; 37ans de services.
Mme P, cogérante d’une imprimerie ; 33 ans de services
Ministère des affaires étrangères :
M. S., missionnaire de renfort à la direction des ressources humaines au ministère ; 39 ans de services.
M. D., président d’une imprimerie (Roumanie) ; 50 ans de services.
Ministère de l’écologie :
M. B., ancien pilote d’hélicoptère ; 50 ans de services.
M.P., président d’une société de vente de bois de construction ; 25 ans de services.
Ministère de l’éducation nationale :
M.T., ancien délégué national d’une organisation non gouvernementale à vocation humanitaire ; 37 ans de services.
Reconnaissons qu’il est difficile de faire un lien entre le domaine d’action des ministères concernés et les activités telles qu’on peut les imaginer dans le libellé. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive, même si dans les faits l’essentiel des promus ont un lien visible avec les activités du ministère qui les a proposés.
Par ailleurs quand le lien est avéré, et c’est la grande majorité des cas, le libellé de l’activité du promu est souvent si commun, c’est-à-dire partagé avec tellement d’autres individus, qu’on peut se demander quels sont les critères objectifs de sélection. Bref, tout cela semble très opaque et peut susciter jalousies et rancœur.

Néanmoins ce n’est pas cela qui fait généralement réagir les gens, tout au moins ceux qui n’imaginent pas un jour recevoir la légion d’honneur. Ce n’est pas tant la nomination de tel ou tel fonctionnaire, de tel ou tel chef d’entreprise ou présidente du conseil d’administration d’une société anonyme d’hôtels ou pilote d’hélicoptères qui les interpelle, que celle de gens connus, politiques, acteurs, chanteurs, sportifs ou autres. Ceux-là finalement ne sont qu’une poignée mais les projections négatives qui sont faites sur chacun d’eux suffisent à discréditer l’institution de la légion d’honneur.
Les raisons sont évidemment multiples aux rejets exprimés. On pourrait citer des appréciations négatives sur le talent des acteurs par exemple (la carrière de Mimi Mathy a-t-elle à ce point exalté la valeur du cinéma français qu’il était juste de l’honorer de la sorte ? C’est juste une question). Le patriotisme de certains peut-être aussi mis en cause (des évadés fiscaux aussi talentueux soient-ils méritent-ils d’être honorés par la nation ? Des footeux qui refusent de chanter l’hymne national, même s’ils marquent des buts doivent-ils être récompensés par une entrée dans l’ordre de la légion d’honneur ?). Le copinage politique est dénoncé (qu’a fait Jack Lang d’exceptionnel pour la France depuis sa nomination au grade de chevalier pour être distingué cette année au rang d’officier ?). Certes toutes ces critiques sont recevables, même si certaines restent dans un ordre du plus subjectif.

Mais il est quand même une notion essentielle qu’il conviendrait de ne pas oublier. Celle de l’honneur. Elle semble d’ailleurs être prise en compte. Parfois. N’a-t-on pas destitué de l’ordre Papon ou Aussaresses parce qu’ils avaient commis des crimes jugés contre l’honneur ? Personnellement j’ai des doutes sur l’opportunité d’avoir destitué le second dont le seul vrai crime est d’avoir avoué des pratiques que tout le monde connaissait. D’autres qui ont commis les mêmes choses et ceux qui les ont sinon autorisées au moins couvertes, n’ont pas connu cette redoutable sanction, notamment pour un soldat dont les services furent particulièrement élogieux dès la seconde guerre mondiale. Encore une victime de l’air du temps.
Mais on est néanmoins moins sourcilleux avec l’honorabilité de certains autres qui n’ont pourtant pas rendu la moitié du quart (et je suis encore loin du compte) des services à la France rendus par Aussaresses et dont le patriotisme est pour le moins douteux. Dire que j’ai été surpris de voir nommer à la dignité de grand-officier, ce qui correspond à une quatrième nomination dans l’ordre, le veuf (peut-on dire ainsi ? Sans doute désormais) d’un grand couturier, patron de presse et d’autres choses, membre éminent de la gauche caviar, bienfaiteur du parti socialiste et de certains de ses membres en particulier (le Bettencourt de la gauche ?), militant acharné des LBGT, défenseur actif de la GPA,…, dire que j’ai été surpris serait faux. Pourtant ça coince. Du moins pour moi. Car une recherche biographique montre un rejet précoce de la nation chez cet homme qui s’est dérobé au service militaire et indique que l‘individu a été également condamné pour délit d’initié. Son attitude vis-à-vis de journalistes et de publications quand certains articles ne vont pas dans le sens de sa pensée montre également le côté sectaire de l’individu dont il serait difficile de dire qu’il est honorable. Mais sa fortune et ses amitiés notamment politiques recouvrent d’un voile pudique tout cela et lui permettent donc de pouvoir arborer une plaque sur sa poitrine. Lui, c’est mon avis, jette bien davantage le discrédit sur l’institution de la légion d’honneur que le fonctionnaire qui a servi honnêtement pendant 40 ans et, bien qu’on ait du mal à trouver quelque chose d’extraordinaire dans sa carrière, se voit récompensé de la croix de chevalier.

Pour terminer je voudrais sortir de considérations très générales sur la légion d’honneur pour évoquer brièvement le cas Piketty.
Tout d’abord je suis très étonné qu’il ait appris par le J.O. sa nomination. La procédure exige souvent que soit contactés ceux qui peuvent prétendre à la légion d’honneur, ne serait-ce que pour corroborer certains éléments biographiques. Accordons-lui néanmoins le bénéfice du doute et rejetons cette idée qu’il aurait voulu faire un coup d’éclat. Sur ce blog on ne médit pas. Ou du moins on évite d’avancer des informations non vérifiées.
Je ne suis pas étonné qu’il ait refusé, avec les nuances indiquées en préambule sur ce que recouvre le refus de la légion d’honneur. S’il ne l’avait pas fait on aurait u dire qu’il allait, symboliquement, à la soupe ou se laissait séduire par un hochet brandi par celui qui l’a trahi.
Il n’est pas inutile de rappeler que Piketty est proche du PS (était ?) et a été un membre actif de la campagne de Hollande. Il n’est pas inutile de rappeler que ce dernier s’est approprié les idées de Piketty, et notamment cette idée de grande réforme fiscale, pour évidemment ne jamais les appliquer. On peut donc comprendre que l’économiste s’est senti trahi, d’autant plus que les orientations du gouvernement étaient considérées par lui à l’opposé de ce qu’il fallait faire. Pépère pensait sans doute s’en sortir par l’octroi d’un ruban rouge. Pas de bol ! La réaction dont on comprend dès lors qu’elle a tendance à irriter certains membres du gouvernement nous révèle, enfin plutôt nous rappelle, car il n’y a pas de révélation dans cela, quelle est la véritable nature de celui que nous avons encore un peu plus de deux ans à supporter.

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