"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

vendredi 18 septembre 2015

La voix de l'Europe vs la voix des Européens





La nouvelle crise que connait actuellement l'Europe est certainement beaucoup plus révélatrice de l'inconsistance de cette dernière que n'importe quelle autre crise l'ayant précédé.

Si la précédente crise grecque a pu démontrer que seul un modèle économique était envisageable au sein de l'UE, quitte à briser une nation, quitte à jeter sa souveraineté, et même un semblant de souveraineté aux ordures, la crise des migrants nous entraine sur un terrain beaucoup plus sensible puisqu'il touche aux valeurs, et à des questions de culture et de civilisations. Et on ne pourra pas traiter une crise sous-tendue par de telles questions par une suite de réunions nocturnes permettant aux dirigeants européens quand l'aube commence à blanchir de s'auto-congratuler de leurs performances et de vanter la solidité d'une Europe qui sait vaincre les obstacles qui se présentent à elle et donc continuera à avancer. Alors tout le monde est content (sauf les Grecs) parce qu'on peut continuer à faire semblant.



Non cette fois les choses sont plus graves, bien plus graves, parce qu'il ne s'agit pas de modèle économique, mais de civilisation. Et c'est là que les pays de l'Europe des quinze doivent commencer à se les mordre, je ne vous dirai pas quoi, d'avoir accueilli des nations qui ne semblent guère avoir envie d'évoluer dans le "bon sens". Ça ne manque pas d'ailleurs d'ironie, ou disons que la situation est pour le moins paradoxale puisque les Etats qui ont fini par rejeter dans les faits, par principe idéologique ou par faiblesse, le concept d'intégration chez eux, en sont à reprocher à ceux qui préservent ce principe jalousement de ne pas s'intégrer à une certaine Europe des valeurs, leurs valeurs. C'est un peu comme cet esprit Charlie qui permet de tout exprimer sauf ce qui va contre la pensée dominante ou cette jurisprudence désormais établie qui permet d'insulter Morano mais surtout pas Taubira.



Donc si on se situe au niveau de l'Europe on distingue deux blocs. Le premier occidental disposé à accueillir massivement et sans être trop regardant sur leur qualité des migrants ou des réfugiés, et le second oriental, correspondant aux Etats jadis sous la coupe soviétique, très attaché à l'idée de nation, à la préservation de sa culture et à une certaine conception de la civilisation européenne. Il peut certes y avoir quelques variantes, comme par exemple le Danemark, qui bien que faisant partie du bloc occidental ne semble guère disposé à accueillir de migrants, mais dans l'ensemble la coupure suit le tracé  au nord de la frontière Oder-Neisse et plus au sud de ce qui fut le rideau de fer.

Concrètement dans les discours ça donne ça :

"Les migrants qui fuient la guerre, les persécutions, la torture, les oppressions doivent être accueillis.  Ils doivent être traités dignement, abrités, soignés. Notre devoir, c'est de trouver des réponses durables, fondées sur des valeurs : humanité, responsabilité, fermeté." (Valls). Ne me demandez pas ce que fermeté vient faire là-dedans. C'est juste un mot que Valls se doit de placer dans chacun de ses discours, même si ça tombe comme un cheveu sur la soupe. 

Ou encore Merkel déclarant que "Les migrants sont l'avenir de l'UE"

Et à l'opposé on a ça : "J'ai aimé quand la chancelière a dit, il y a environ un an et demi, que le multiculturalisme était mort [vous aurez remarqué le coup d'estoc porté à Merkel ou plus gentiment dit le pointage d'une contradiction]. Car la menace du terrorisme est une chose. Mais il y a aussi le défi de l'intégration de ces musulmans. En Europe, elle ne s'est pas faite: des sociétés parallèles vivent les unes à côté des autres. Je ne dénie pas à une nation le droit de fonctionner de telle façon. Mais nous, en Hongrie, nous ne voulons pas suivre cette voie. Les musulmans ont une approche de la vie tout à fait différente de la nôtre. Et face à eux, nous ne sommes pas du tout compétitifs. Si nous, chrétiens, laissons les musulmans rivaliser avec nous sur le continent, nous serons surpassés en nombre, c'est mathématique." (Orban)

Pour résumer les positions des uns et des autres, on a d'un côté "nous avons le devoir d'accueillir les migrants qui constituent d'ailleurs un bienfait pour nous et même notre avenir" et de l'autre "nous avons eu le temps d'observer ce que vous avez fait de vos migrants musulmans, la manière dont ils se comportent chez vous, et ça ne nous donne vraiment pas envie, mais alors pas du tout, d'en accueillir. Il en va de la survie de notre civilisation." Cette dernière position, même si Orban reste à peu près le seul à avoir un langage clair sur le sujet, c'est-à-dire qu'il ne tortille pas de l'arrière-train comme c'est de coutume dans les milieux politiciens pour exprimer sa pensée, semble largement partagée par ses homologues de l'est de l'Europe. Quand le président slovaque par exemple déclare qu'il veut bien accueillir des migrants seulement s'ils sont chrétiens il exprime les mêmes préoccupations. Enfin des islamophobes (voir le sens de ce mot!) qui s'assument dans l'Europe molle et bienpensante! Et même pas une association qui pourrait les trainer en justice!



Tout cela est bien beau et pourrait paraitre simple : d'un côté les progressistes qui ont compris le monde et considèrent ringard de vouloir défendre une civilisation qui n'est pas supérieure aux autres et qui de toute façon va s'écrouler à cause de la démographie (d'ailleurs qui paiera nos retraites si les migrants ne remplacent pas les enfants que nous n'avons pas faits?), et de l'autre les ploucs arriérés de l'Europe de l'est qu'on a sortis du communisme (!) et qui sont trop cons pour comprendre comment les choses doivent fonctionner. De toute façon comme ils sont minoritaires,  comme ils ont besoin du pognon de l'Europe, on finira bien par les mettre au pas. Le charisme de Juncker y pourvoira.



Mais ce n'est pas si simple. Parce qu'au sein des pays "progressistes" les opinions sont aussi divisées qu'elles le sont au niveau des Etats européens. Plus de la moitié des Français sont opposés à l'accueil de migrants par exemple, et sans doute n'est-ce pas le seul pays concerné par cette dissidence d'ailleurs relayée par quelques élus, rapidement mis au ban de la société et qui devront sans doute s'expliquer devant un tribunal de leur déviance idéologique. Et ce n'est pas un nième discours de Valls sur la fermeté qui fera changer les gens d'avis. "Il y a chez nos compatriotes un malaise, une inquiétude, un sentiment de désordre …Je veux dire aux Français que le gouvernement maîtrise la situation." La dernière phrase d'ailleurs risque d'élever le niveau de méfiance! Ce ne sera pas non plus une photo et même un diaporama. Le fait est que les résultats de quelques décennies d'une immigration de type non européen, que l'échec d'une intégration qui n'est d'ailleurs plus de mise, parlons désormais d'inclusion, que l'avènement du multiculturalisme et ses grand succès, mais aux dépens des populations de culture française, génèrent effectivement assez de malaise, d'inquiétude et sont suffisamment sources de désordre pour qu'on ait guère envie d'ajouter du bordel à ce dernier. Et j'ose imaginer que ça peut être pareil dans d'autres pays de l'ouest de l'Europe, et peut-être même en Allemagne si on se réfère à quelques événements passés et notamment ce besoin de Merkel il y a deux ou trois ans de décréter l'échec du "Multikulti".



Alors la question est donc de savoir si la voix de l'Europe est la voix des Européens ou si elle la contredit. Le porte-parole des Européens, du moins de leur majorité, est-il Orban tandis que celui de l'Europe serait Merkollande? Et donc qu'en est-il de la démocratie dans cette belle union? Mais là vous connaissez mon opinion à ce sujet.

mardi 15 septembre 2015

L'étrange comportement des occidentaux





Il est des fois où je me pose des questions, mais pas trop longtemps d'ailleurs tant les réponses sont évidentes, sur la clairvoyance des occidentaux en termes de politique internationale.
L'alignement désormais aveugle, le dernier sursaut date sans doute de 2003 avec le refus simultané de la France et l'Allemagne (et la Russie) de donner leur caution à l'agression de l'Irak par la coalition menée par les Etats-Unis, des politiques étrangères des pays occidentaux sur celle de la superpuissance américaine me parait source de bien des problèmes et de troubles dans le monde. Ne parlons pas évidement des pays auxquels s'applique cette politique et de leurs populations : à leurs sujets on ne peut décemment parler ni de troubles ni d'inconvénients, mais plutôt de désastres humanitaires, culturels,…

Pour justifier cet alignement, tout est bon, et notamment le recours la morale, des arguments qu'on balance à une population infantilisée et qui auraient tout juste été bons pour des gamins de 12 ans il y a encore peu, enfin d'un âge où la sensiblerie est de mise et en tout cas dépasse les notions d'intérêts, d'équilibres géostratégiques. Ainsi Tony Blair pour se justifier des mensonges ayant servi de prétexte à attaquer l'Irak et relayés par lui devant les parlementaires et le peuple anglais en toute connaissance de cause, expliquait que le monde était meilleur sans Saddam Hussein. De la même manière qu'il l'est sans doute sans Kadhafi. Et là on oscille entre le fou rire et la colère. Enfin plutôt la colère quand on voit l'état du monde depuis la disparition de ces deux dictateurs, certes, mais qui paraissent des enfants de chœur par rapport à ceux qui visent à les remplacer. Evidemment que le monde est bien pire sans Saddam et Kadhafi, même si les deux étaient des salauds. Mais quand on prétend renverser des salauds encore faut-il prévoir ce qui va se passer après leur disparition et ne pas se contenter d'imaginer benoitement que la soif de démocratie des populations libérées du joug de leurs dictateurs va suffire à plonger leurs pays dans la félicité. Et peut-être aussi que des régions du monde aux prises avec une religion aux mœurs moyenâgeuses n'ont-elles guère d'autres possibilités d'être gouvernées que soit par des salauds laïcs ou du moins veillant à ce que certains équilibres ne soient pas rompus par la religion ou le tribalisme, soit par des salauds obscurantistes. Les premiers furent souvent  soutenus ou au moins tolérés avec une certaine bienveillance pendant longtemps. C'étaient nos intérêts à long terme.  Et certains donc ont décidé que ce n'était plus le cas et que d'autres intérêts, un peu troubles, d'autant plus troubles qu'il y a du pétrole ou du gaz, prévalaient sur une certaine stabilité, fût-elle maintenue à coup de nerf de bœuf. Ça s'est fait assez brutalement, dans toutes les significations du terme. En fait ce que je veux dire c'est qu'en moins de 10 ans, il y a eu un retournement des choses et qu'on ne peut guère expliquer par la guerre contre le terrorisme. Si c'est le cas, si c'était la volonté au départ, c'est très grave quand on voit que ces interventions, que ces renversements de dictateurs, ont très largement aggravé les choses.

Et du coup on se demande si la volonté finalement des initiateurs de ces troubles n'était pas d'aggraver les choses. De fait, ce billet et cette réflexion sont la conséquence d'une info dont je viens de prendre connaissance.
Il apparait donc que les massacres en Syrie, que la montée en puissance de l'état islamique, que la guerre civile auraient pu être arrêtés dès 2012. A cette époque l'ambassadeur de Russie auprès de l'ONU délivre un message à l'ancien président finlandais Ahtisaari, devenu depuis porte-parole d'une ONG et accessoirement prix Nobel de la paix. Ce message est évidemment destiné aux occidentaux, du moins ceux membres du conseil de sécurité de l'ONU que le Finlandais doit rencontrer, et concerne le règlement du conflit syrien qui n'en est qu'à ses débuts. La proposition russe est de permettre d'encourager des négociations entre le régime de Damas et l'opposition, un départ sans heurts de Bachar el Assad, et de ne pas armer les rebelles. Pour faire court la Russie est prête à lâcher Assad de manière négociée donc souple pour j'imagine favoriser l'émergence d'un gouvernement d'union nationale garantissant ses intérêts sur place, notamment la base de Tartous, à condition de ne pas armer des rebelles dont on sait déjà qu'ils sont de plus en plus dominés par les islamistes. La Russie effectivement se doit de protéger son flanc sud des islamistes. Ce qui veut dire que le conflit syrien aurait pu peut-être être réglé dès 2012 dans de bonnes conditions ce qui aurait pu donc empêcher le développement de l'EI et ces millions de déplacés dont une partie considérable afflue désormais vers nos frontières. Mais les occidentaux ont rejeté ce plan, pensant que Assad allait rapidement tomber. J'imagine que certains l'auraient volontiers vu terminer sa carrière de dictateur comme Kadhafi, humilié, torturé, exécuté, le tout filmé évidemment. A moins que certains intérêts notamment régionaux, pensons à nos amis saoudiens, qataris, turcs entre autres, n'aient milité pour que finalement le conflit ne connaisse pas ce type d'issue empêchant la victoire des islamistes soutenus par eux.
Le jeu des Américains dans ce conflit n'est pas clair. On le voit aujourd'hui dans leurs réactions alors que la Russie serait en train d'apporter un soutien davantage affirmé à Assad. Pourtant qui à part Assad et ses soutiens sont en mesure, sinon de vaincre, de contenir l'expansion de l'EI. Ce ne sont pas les frappes aériennes de la coalition qui peuvent donner un espoir de ce côté. Quand on mène une guerre il faut faire des choix en termes d'alliances, même si ces choix peuvent être douloureux. Je n'imagine guère qu'en juin 41 Churchill se soit pris d'une véritable amitié pour Staline et réciproquement. Idem avec Roosevelt quelques mois plus tard. Si on estime que l'EI, et les autres islamistes notamment al nosra, filiale de al qaida, représentent une plus grande menace pour nos intérêts, pour le monde que Assad, et on peut raisonnablement penser cela quand on est occidental, on n'a pas à tergiverser. Le départ de Assad ça sera pour plus tard. Mais à priori, on ne pense pas comme ça à Washington, et donc on ne pense pas comme ça dans les capitales européennes. Et c'est quand même absurde. Et même complètement idiot de la part de ceux qui aujourd'hui sont en train de montrer le spectacle pitoyable de leurs faiblesses quand il s'agit d'accueillir des réfugiés. Ils ont loupé le coche en 2012. Et ils persévèrent.
C'est un peu comme l'Ukraine. Ce qui s'y passe n'a en fait qu'une importance très réduite. La guerre ne finira que quand les Américains le décideront. Leur vrai objectif, c'est la Russie. Et les autres suivent fermant les yeux sur le non-respect des accords de Minsk par les Ukrainiens, détournant le regard sur les meurtres politiques commis en Ukraine, ignorant les lois liberticides ou réhabilitant les auxiliaires des nazis quand ils entrèrent en URSS et occupèrent cette région. Ils suivent et votent des sanctions dont ils sont les premiers et même les seuls à subir les conséquences des réponses qui leur sont données.

Quand l'alignement devient  ce point suicidaire, il faut se poser des questions sur nos dirigeants. Soit ce sont de parfaits abrutis, soit on dispose de moyens de pressions sur eux, soit ils sont soudoyés. J'expose ces hypothèses dans un ordre préférentiel.

dimanche 13 septembre 2015

Démocratie orwellienne






Je n'aime pas la démocratie. Enfin, notre démocratie française, européenne, à vocation mondiale, universelle. Je ne l'aime pas simplement parce qu'elle n'est qu'une apparence, un joli masque mais déjà un peu fané posé sur une figure hideuse, une hypocrisie post-moderne, une trahison.
Je n'aime pas notre démocratie car elle nous impose un horizon unique, celui d'un monde sans frontières, où les cultures se côtoieraient en se respectant avant de se diluer dans un ensemble informe où l'homme-citoyen, l'homme-identité perdrait sa place au profit de l'homme-consommateur. Plus de haine, mais plus d'amour non plus, juste la jouissance éphémère de la consommation souvent inutile.
Je n'aime pas notre démocratie car elle tente de disqualifier toutes les alternatives à ce modèle vers lequel elle veut nous faire tendre. Vous refusez ce monde radieux qu'on veut vous offrir, donc vous êtes facho, populiste, réac, bref une ordure.
Je n'aime pas notre démocratie car elle ment. Elle ment comme ont menti le communisme, le socialisme, enfin tous ces "ismes" qui ne relient rien, surtout pas le passé au présent ou au futur, et qui au contraire effacent, nient, suppriment, dans toute l'acceptation du mot, ce qui fut, pour nous donner ce qui jamais ne sera. Marx, mais d'autres avant lui, Hegel par exemple, et d'autres après lui, ceux qui comme Fukuyama voyaient dans la chute du communisme la fin de l'histoire, se sont trompés. L'histoire s'arrête là où nous sommes. L'histoire n'a pas de sens et l'humanité n'a d'autre destin certain que celui de disparaitre, demain, dans un siècle, dans dix siècles, dans quelques millénaires. Qui sait? Mais certainement pas celui de parvenir à une forme d'organisation définitive où chacun vivrait en harmonie avec son prochain. Jamais personne ne pourra se proclamer le dernier homme, l'homme abouti.
Je n'aime pas notre démocratie parce qu'en nous mentant elle cesse ne nous protéger. En nous forçant à aimer ceux qui ne nous aiment pas, en nous demandant de renoncer peu à peu à ce que nous sommes, en exigeant de nous qu'on fasse une place de plus en plus grande à ceux qui ne veulent pas devenir nous, en sollicitant notre compassion pour ceux qui refusent de se battre pour leur liberté, elle nous trahit. Et pour cela tout est bon, et même l'odieux. L'image d'un jeune garçon mort sur une plage vaut tous les arguments pour nous convaincre, tandis qu'elle est censée réduire à néant ceux qui s'opposent à cette vision. L'image à la place des mots, la compassion à la place des idées. Voilà où en est ce qu'on appelle le débat démocratique.

Mais quel débat? De débat il n'y a pas, de débat il n'y a plus. Les choses doivent avancer comme c'est décidé. Par qui? Pourquoi? Comment? Ne posez pas ces questions, vous n'aurez pas les réponses ou vous en aurez qui n'y répondent pas mais fustigeront votre cœur sec, quand il s'agira de recueillir des malheureux, forcément malheureux, votre populisme, quand il s'agira par exemple de porter une appréciation sur le bien-fondé  de l'évolution de l'Union Européenne, votre racisme, votre islamophobie, quand vous critiquerez  certains comportement et mettrez en doute le modèle actuel d'intégration à la française. Etc. Donc ne posez pas ces questions, posez les-vous et tentez d'y répondre. C'est la seule voie encore possible dans notre belle démocratie, même si elle devient de plus en plus étroite.
 Car à cela aussi on veille notamment par le biais de ce qu'on appelle l'éducation nationale mais qu'il faudrait sans doute renommer rééducation nationale puisque c'est bien l'entreprise que sous-tendent les différentes réformes dont elle est l'objet en remplaçant ce qu'on appelait la culture de l'honnête homme ou mieux la culture générale par un endoctrinement à ces magnifiques valeurs en pointe, inutile d'en faire le triste inventaire, qui aideront à mieux rejeter un passé que de toute façon on n'enseigne plus ou juste de façon fragmentaire pour montrer à quel point il est urgent de couper les liens qui nous unissent à lui. Chacun aura pu remarquer que ce sont toujours en premier ce qu'on nomme par défaut les matières littéraires, en fait tout ce qui n'est pas scientifique, qui sont la cible de tous ces changements. On ne peut guère se passer d'ingénieurs, d'informaticiens, de scientifiques en général, mais on peut éviter qu'ils pensent trop hors de leur domaine de compétence.
Quant à ceux qui échapperaient au formatage, et qui donc pourraient penser autrement, on peut aussi s'occuper de leur cas. Si on ne peut les empêcher de penser, empêchons-les de s'exprimer. D'abord en les identifiant grâce au moyens de surveillance, désormais légaux grâce au terrorisme, la peur devenant évidemment également un outil de gouvernement en démocratie, et en les réprimant ensuite grâce à une nième loi avant la prochaine qui sera encore plus rigoureuse parce que ça le vaut bien sur l'égalité et les discriminations.


Mais comment on est-on arrivé là?
Sans doute pour commencer à cause de la peur. Et comme chacun sait la peur conduit à l'irrationnel. Quand après la guerre l'Europe sinistrée, en reconstruction, s'est sentie menacée par la puissance soviétique elle  s'est tourné vers son grand allié et lui a confié les clés de sa défense. La France empêtrée dans ses guerres coloniales, que le grand allié au passage s'acharnait à lui faire perdre, a connu un sursaut à ce qui figurait un premier abandon de souveraineté. C'était sous de Gaulle. Mais ce fut juste un moment que le tropisme atlantique de ses successeurs, à partir de Mitterrand, a définitivement ravalé au rang d'épisode historique. La politique de défense a été sans cesse sacrifiée, par tous, sans exception, en même temps que l'esprit du même nom. Je ris de ceux qui réclament avec insistance le rétablissement du service national mais refuseraient de voir leurs enfants combattre pour la France. Et ce ne sont pas nos interventions africaines que jamais nous ne mènerons jusqu'à leur terme, faute de moyens, qui pourront cacher nos énormes lacunes en termes de défense. S'agissant des autres pays européens, mis à part la Grande-Bretagne sensiblement à notre niveau, ce fut encore pire. Tous, nous sommes devenus des nains, aimant jouer aux grands dans les G quelque chose, parfois grâce à un siège de membre permanent au conseil de sécurité de l'ONU. Une première inversion des normes s'est produite : ce n'est pas la puissance qui donne le poste, mais le poste qui procure l'illusion de la puissance. C'est juste une honte, une honte pour nos dirigeants successifs d'avoir préféré vivre sur une rente que de s'être donné les moyens de tenir leur rôle. Les curieux jetteront un œil sur l'utilisation par pays du droit de veto. C'est édifiant! France et Royaume-Uni, les deux pays européens sont à la remorque. Même en 2003, après le flamboyant discours de Villepin, il ne fut pas utilisé. Mais quelle diplomatie peut-on espérer dès lors qu'on se prive d'un de ses outils majeurs? Et comment ne pas lier souveraineté, donc possibilité pour la démocratie de s'exercer, et diplomatie?

Ensuite il y a l'affaissement de la nation en tant qu'idée. La nation ce n'est pas ce que ces adversaires veulent en montrer, ni non plus les divagations de certains de ceux qui prétendent la défendre à coup de battes de base-ball. Les deux en ont une même conception étriquée, caricaturale, fausse. Je vous renvoie à Renan pour comprendre ce qu'est la nation. La nation s'oppose à la fois à l'universel et au particularisme en son sein. On ne confondra pas particularisme avec folklore, traditions régionales, croyances. Le particularisme c'est refuser un héritage commun et se réclamer d'un autre, c'est placer sa communauté particulière au-dessus de la communauté nationale, c'est n'envisager un projet commun que dans la mesure où ses intérêts, ses croyances en constitueront le cœur.
De Gaulle dans ses interventions, dans ses discours, dans ses écrits parle de la France et finalement très peu des Français. Parce que c'est un ensemble, parce que les intérêts de la première sont ceux des seconds, parce que ces derniers lui sont subordonnés. Les politiques qui nous gouvernent parlent très peu de la France, pas beaucoup des Français, mais s'intéressent à ce qu'on appelle les minorités. Il n'y a plus de France, mais des groupes, des communautés avec leurs intérêts propres et dont le but est souvent de montrer combien ils ont été et sont maltraités pour obtenir sollicitude et réparations. On oppose souvent, et avec raison, égalité et liberté, mais quand une nation se disloque en communautés, celle d'origine, celle qui fait le lien entre le passé et le présent, la nationale, devenant la laissée pour compte, la méprisée pour ses actes passés et soigneusement sélectionnés, c'est la fraternité qui est mise à mal bien davantage que la liberté. Même si corrélativement, comme évoqué un peu plus haut, la liberté d'expression se trouve de plus en plus menacée pour que ne s'exprime pas justement la dislocation du lien fraternel qui accompagne l'idée nationale.
Si je m'exprime sur la nation, c'est parce que je pense que c'est le cadre idéal pour la pleine expression de la démocratie. Quand les références sont communes, quand le socle des valeurs est le même pour tous, quand la volonté de continuer à vivre ensemble existe, on peut préparer l'avenir ensemble. Et n'est-ce pas cela la démocratie que de se choisir un avenir, un projet communs. Quand ce que je viens de décrire n'existe plus, la démocratie est condamnée à terme, même si elle passe par diverses formes de simulacre entre temps. Ce sera le coup de force d'une communauté pour faire prévaloir ses droits sur ceux des autres, ou alors si on veut rester dans un cadre légal et rester patient la démocratie se réduira à l'expression d'un vote ethnique ou religieux et aura comme seule référence la démographie. Ces deux voies existent sur d'autres continents, un en particulier. Et ce sera une farce de l'histoire que de voir celles-ci importées chez nous tandis que nous nous targuions d'exporter nos universelles valeurs.

Je ne m'étendrai pas sur les délégations de souveraineté que nos pays démocratiques ne cessent d'opérer. J'ai évoqué plus haut le cas de la diplomatie. J'ai amplement parlé de ça et d'autres domaines dans d'autres billets consacrés à l'Europe dont on voit bien qu'elle commence à avoir hâte elle-même de déléguer à un plus puissant qu'elle ce que lui ont délégué ses membres. C'est juste une question de temps, pas beaucoup d'ailleurs. L'organisation de la société, les rapports sociaux sont eux-mêmes soumis à des juridictions extérieures, cour européenne de justice, cour européenne des droits de l'homme par exemple. L'uniformisation est en marche, foulant aux pieds des siècles d'histoires, de traditions et d'esprit nationaux.
 Or que vaut la démocratie si les décisions concernant son pays, concernant sa communauté nationale, sont prises ailleurs, et échappent complètement aux personnes qu'on élit supposément pour faire ce travail en notre nom.
Que valent des élections qui se réduisent à un grand spectacle du style star'ac, où on choisit davantage des slogans que des idées dont on sait qu'elles ne se traduiront pas en actes? En 2007 ce fut "La France tu l'aimes ou tu la quittes" qui avait remporté le grand prix du jury, le jury c'est nous, en 2012 ce fut "Mon ennemi c'est la finance". Ceux qui n'aimaient pas la France ne l'ont pas quittée (ce serait d'ailleurs ceux qui l'aiment qui auraient tendance à la déserter) et d'autres qui ne l'aimaient pas davantage y sont venus en masse. Quant à la sortie sur la finance prenons ça pour une blague dont est coutumier celui qui en est l'auteur, et tant pis pour ceux qui y ont cru.
Mais ne nous y trompons pas, les deux bords qui se partagent le pouvoir depuis des décennies finiront par s'unir, un peu comme cela se fait en Allemagne. Leurs conceptions globales du monde ne varient qu'à la marge, j'allais dire sociétale (et encore, ce sont souvent des postures!). Ils devront faire bloc contre ceux qu'on nomme souvent avec mépris les souverainistes pas encore organisés, très dispersés, puisqu'on les trouve de part et d'autre de l'échiquier politique et même parfois au sein des partis dits de gouvernement, et trop souvent mal représentés. J'ai la faiblesse de croire que les souverainistes sont majoritaires, au moins en France, du moins ceux qui pensent que c'est à eux de déterminer leur destin au sein d'une même communauté nationale. Mais ils ont forcément tort puisque ce n'est pas la voie qu'on nous somme de suivre. Le vote "utile", le système électoral auront de toute façon raison d'eux.

Non je n'aime pas une démocratie d'où le peuple est très absent et le sera de plus en plus.