"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

mercredi 9 mars 2016

La Légion d'Honneur, un révélateur de notre société




La polémique sur l'attribution de la Légion d'Honneur au prince héritier saoudien m'a d'abord amusé. On en a distribué tellement d'autres à des gens peu recommandables! Mais en y réfléchissant je me suis dit que cette décoration, du moins le choix fait des personnes à qui l'attribuer et les réactions que cela suscite est un bon révélateur de l'état de notre société



Chaque promotion dans l'ordre de la Légion d'Honneur fait immanquablement jaser, notamment quand il s'agit des promotions civiles. Les deux promotions militaires annuelles font moins de vague, même si au sein de l'institution certains peuvent manifester, en toute discrétion, leur étonnement de voit tel ou tel promu.



En fait la critique se concentre essentiellement sur les personnalités connues dont effectivement parfois on peut se demander quels services éminents elles ont rendu à la France. Car évidemment personne, au moins au-delà de leurs services respectifs, ne s'offusque que tel administrateur civil, tel secrétaire d'ambassade reçoive le ruban rouge. Et donc une poignée d'heureux, peut-être heureux, récipiendaires font que le discrédit est jeté sur cette dignité. On s'en émeut invoquant les mânes de l'Empereur, fondateur de l'Ordre, qui pourtant à ce propos n'hésitait pas à déclarer que "c'est avec des hochets qu'on mène les hommes".  Même si à cette époque l'attribution de la Légion d'Honneur était accompagnée de l'octroi d'un traitement substantiel, qui, hélas ou pas, n'a pas été indexé sur l'inflation depuis fort longtemps. Du coup la Légion d'Honneur ne vous rapporte plus rien ou presque, un peu plus de 6 euros par an et  condition que vous n'ayez pas renoncé à ce traitement au profit de la société des membres de la Légion d'Honneur comme vous y êtes fortement incité. Par contre dans le cas général, elle vous aura coûté suffisamment cher, achat de la médaille à moins que vos collègues ne vous l'offrent, droits de chancellerie et évidemment le pot que vous offrirez à vos collègues si du moins ils ont investi dans l'achat de la médaille. Il faudra donc vivre longtemps pour rentrer dans ses frais. Et en plus ça n'offre aucun avantage, ça ne sert même pas de coupe-file dans les administrations, sauf si vous avez des filles ou petites-filles que vous souhaitez caser dans l'institution des demoiselles de la Légion d'Honneur où elles recevront une bonne instruction et une éducation hors sol.



Mais évidemment ce n'est pas là où se situe le problème. Tout est effectivement dans le symbole. Et on s'indigne plus vite et plus fort d'une attribution douteuse de cette distinction que de la nomination de ministres incompétents ou de personnages pas davantage compétents par exemple au conseil économique, social et environnemental, refuge parfois de chanteurs aux succès lointains ou de politiques qui eux n'ont pas connu le succès aux dernières élections. J'en passe et des meilleures, notre pays devant sans doute être un champion mondial des commissions et comités bidules bidons qui coûtent cher mais ne rapportent rien.

Mais la Légion d'Honneur, c'est autre chose. C'est du sensible. On touche là aux fondements mêmes de l'ordre républicain dont le mérite devait être un des clés de voute. Aussi trois fois l'an, le 1er  janvier, à Pâques et à l'occasion du 14 juillet, dates des promotions civiles, les Français ont l'occasion de grogner contre les dérives d'une méritocratie dont leur quotidien leur montre que tout ça c'est du passé, si tant est que ça ait un jour existé.



Mais ce gouvernement, fidèle à sa conduite, aura fait avancer les choses vers le pire, en attribuant désormais cette dignité aux victimes d'attentats. Etre victime devient désormais une qualité, un service rendu à la France. Et évidemment on ne saurait désormais envisager que cela cesse. La promotion du 1er janvier ayant inclus seulement les victimes de janvier 2015, on a vu les ayants-droits des victimes de la première moitié de l'année qui avaient été oubliées réclamer le ruban. C'est ma foi assez logique, et on ne saurait les en blâmer. Et donc les 130 morts du 13 novembre dernier devront y avoir droit. Et ceux qui suivront. Ça ne modifie pas l'équilibre imposé et limitant nombre des membres de l'ordre à 100 000, puisqu'on ne compte évidemment que les vivants, mais par contre ça change tout le sens de la distinction dans l'ordre puisque la personne attablée à la terrasse d'un café vaut dans l'absolu, en termes de mérites, le soldat qui se bat pour la France au Mali ou ailleurs. C'est devenu aussi la médaille de l'émotion.



Cela est cohérent avec l'époque puisque désormais c'est davantage l'émotion qui nous gouverne que la raison, et donc la politique s'articule désormais autour des notions de bien/mal, juste/pas juste. C'est une infantilisation qui connait quand même pas mal de succès d'autant plus qu'elle est très largement appuyée par les médias. C'est exceptionnellement vrai dans le domaine de la politique étrangère dont on a l'impression qu'elle doit être morale ou ne pas être. Les intérêts de la France semblent être donc devenus quelque chose de tout à fait annexe.

Mais, justice divine peut-être, fatalité plus surement car le mensonge ne peut pas éternellement faire loi, les contradictions apparaissent parfois cruellement entre le discours et les actes. Et une fois de plus la Légion d'Honneur, celle en l'occurrence attribuée au prince héritier d'Arabie Saoudite aura servi de catalyseur ou de point de fixation indiquant la réalité des choses.

Il est attribué chaque année environ 400 médailles de la Légion d'Honneur à des personnalités étrangères, souvent en toute discrétion car vous imaginez bien que dans le tas il doit bien y avoir quelques salauds. Mais sans doute estime-t-on, et à juste titre parce que la diplomatie c'est cela, la défense de nos intérêts avant celle de nos vertus, que ces salauds méritent un hochet qui les flatte. Alors sauf si on veut le faire savoir, parce que c'est un saint ou une sainte qu'on décore, on fait ça en catimini. Pas de communiqués et jamais, quand il s'agit d'étrangers, de mention au journal officiel. Le problème c'est quand le récipiendaire laisse exploser sa joie publiquement ou que son pays, sans doute avec quelques arrières-pensées, pensons par exemple dans le cas qui nous intéresse à cette rivalité qui existe entre le Qatar et l'Arabie Saoudite snobée par Sarkozy au profit du premier et revenue quelque peu en état de grâce du fait d'hypothétiques ventes d'armes, communique largement sur l'événement. Et c'est ce qui est arrivé.

Alors évidemment, alors que le même jour on apprend la 40ème décapitation de l'année  chez les Wahhabites ("par chance" on se garde bien de nous informer sur les crimes de guerre commis au Yemen car c'est bien connu il n'y a qu'un salaud dans la région et c'est Assad, et aussi Poutine si ça arrange. J'allais oublier Nethanyaou), ça la fout mal, et la légende de notre allié local dans la lutte contre le terrorisme, tout cela dit sans rire et même les yeux dans les yeux, n'y fait rien. On nous a encore menti. Pas plus que le mérite n'est un des fondements de notre République, le bien n'est le guide de notre diplomatie.

En toute confidence si le premier terme me heurte profondément, je me réjouis du second. Comme je me réjouis que cette communication fondée sur l'émotion se retourne contre ses initiateurs.



J'espère vous avoir convaincus de l'importance de la Légion d'Honneur, pas tant pour ceux qui en sont distingués que ce qu'elle révèle de l'état de notre société.

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