"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

jeudi 25 février 2016

Le monde est fou




Mon oisiveté a cet avantage de me permettre de lire beaucoup mais surtout de suivre assidûment ce qu'on appelle l'actualité. Il faut dire que grâce à internet les choses sont grandement facilitées même si évidemment il convient d'être prudent en s'écartant notamment de ce que j'appellerai les sites d'information institutionnels, ceux qui reproduisent en particulier la parole officielle quand il s'agit notamment de politique étrangère, et en multipliant les sources pour mieux les recouper. C'est ainsi qu'on travaille dans le renseignement et ce travail de bénédictin est effectivement nécessaire pour tenter de toucher du doigt la réalité des choses dans sa complexité et éviter de se laisser aller à des jugements hâtifs, davantage motivés par l'émotion que par la raison qu'elle remplace de plus en plus.

L'ignorance et l'émotion me semblent effectivement être devenues les deux mamelles auxquelles s'abreuve avec délices notre civilisation, cela se traduisant par des choses insensées dans le cadre de la démocratie, comme par exemple porter à la fonction suprême de notre pays des gens qui en sont indignes par leurs comportement ou incapacités et qui sont davantage objets de dérision que de respect. Comment un peuple qui va puiser ses connaissances d'abord à l'école publique puis chez Hanouna et consorts, cela incluant les journaux télévisés peut-il disposer des instruments nécessaires pour faire des choix dictés par la raison? C'est franchement impossible. Restent alors l'émotion ou le parti pris idéologique, les deux se trouvant par ailleurs parfois en confrontation, et même en opposition frontale, pour comprendre le monde et prendre certaines décisions.
Evidemment personne n'échappe jamais totalement à ce que je nommerais ces travers, voire obstacles cognitifs qui empêchent, pour reprendre Péguy, de dire ce qu'on voit et surtout de voir ce qu'on voit. Par chance de temps en temps, sans doute trop rarement, il se trouve que des personnes sortent de cette cécité volontaire et admettent leurs erreurs. Je citerai l'une d'entre elle avec laquelle je me suis souvent affronté, parfois de façon virulente, bien qu'il existe entre nous un respect mutuel : "Nos certitudes, du moins nos hypothèses que nous faisons théories, en prennent un pet depuis quelque temps. Parce que je connais des musulmans, que nous dirons "ordinaires", simples, car je déteste leur appliquer "modérés", je me suis longtemps caché à moi-même une certaine réalité, celle d'une foi qui, de toute façon transcende nos lois. Les blogs ou posts et commentaires sur le site, résolument anti-musulmans m'ont révulsé, mais je dois reconnaître qu'ils mettent la touche de clavier sur une réalité que mon poultikment correk se refuse à admettre." Cet extrait de commentaire (figurant sous mon dernier billet) outre son honnêteté pose le doigt là où effectivement ça fait mal : la confrontation de ses convictions, de sa perception du monde, avec la réalité… dès lors qu'on veut bien la voir. Et reconnaissons que ce n'est pas toujours le cas, loin de là.

L'affaire de Cologne et autres villes en Europe, en fait un phénomène qui existe depuis un certain temps déjà, est un exemple parfait de cet aveuglement volontaire ou de cette lutte entre la vérité et le mensonge organisé. Je passerai sur le fait qu'il fut tenté de nous dissimuler par les autorités des pays concernés toutes ces affaires. C'est un peu comme chez nous dans notre presse où on peut être assuré que le ou les protagonistes de ce qu'on appelle un fait divers ne sont pas ce qu'on nomme des Français de souche, car seuls ces derniers ont le "privilège" de faire l'objet d'un signalement (patronyme, profession…).  C'est Cologne par son intensité qui a délié les langues sur un phénomène qui dès lors ne pouvait plus passer comme isolé et sur lequel il fallait bien se pencher pour le décrire.
Mais non, vous n'y êtes pas! Les voix n'ont pas manqué de s'élever pour justement banaliser le phénomène et condamner ceux qui se risquaient à une explication rationnelle de celui-ci. On a vu des harpies féministes troquer leur vocation à (mal) défendre les femmes pour celle de défendre (aussi mal) les migrants et les musulmans. Mais finalement cela peut être assimilé à un réflexe pavlovien: on connait assez les de Haas ou les Autain pour savoir ce qu'on peut attendre d'elles et surtout ce qu'on ne peut pas en attendre, la reconnaissance des faits qui dérangent leur petite pensée. En fait on s'en fout de ces gonzesses. Ce qui est bien plus grave par contre c'est la seconde fatwa qui fut attribuée à Kamel Daoud pour son analyse de Cologne par des "spécialistes" des sciences humaines ayant trouvé asile, mais c'est son rôle, dans le journal du soir (sans doute un signe) de référence pour y exhiber leurs œillères. Daoud a su résister à la première fatwa prononcée par des islamistes en 2014 continuant son travail de journaliste et d'écrivain en Algérie, comme le fait Boualem Sansal, ce qui ne manque ni de courage ni de panache. Il a été touché de plein fouet par celle venant de ceux qui dont la vocation universitaire est censée défendre l'esprit des Lumières, au pays des Lumières. Mais ça c'était avant, il y a longtemps. Et on peut sans doute comprendre le désespoir de celui qui lutte pour que surgisse la lumière chez lui, dans son pays et qui la voit s'éteindre dans le pays dont il utilise la langue pour écrire parce qu'il estime la langue arabe "piégée par le sacré, par les idéologies dominantes". A partir de là on pourrait disserter longuement sur la notion de refuge à partir de cette conception de la langue française qu'a Daoud comparée à celle que peuvent avoir certains représentants  des Lumières sentant le fagot  quand il s'agit de considérer ou plutôt de refuser de considérer, d'analyser, les actes de réfugiés nouveaux ou anciens, économiques ou de guerre, en fait peu importe. On verra ça peut-être une autre fois. Pour l'instant il ne s'agit que de montrer que cette folie qui s'empare de ceux qui devraient nous en protéger.

Comment à partir de là s'étonner de spectacles affligeants marqués par une versatilité de l'opinion connectée désormais à l'émotion. On se souvient de ces migrants accueillis il y a quelques mois sous les applaudissements dans les gares allemandes (même si par ailleurs à l'occasion de l'Oktoberfest de Munich on avait veillé à ce que fêtards et migrants empruntent des chemins différents dans la gare). Quel contraste avec cette foule haineuse conspuant des migrants venus des mêmes endroits et dans les mêmes conditions et qui n'osent pas sortir du bus qui les dépose devant un centre de réfugiés! Les deux spectacles étaient aussi pitoyables l'un et l'autre. A l'outrance du premier répond celle du second. Cologne constitue la ligne de rupture.
Mêmes les dirigeants ne sont pas en reste. Les Allemands particulièrement. On est passé de mère Thérèsangéla, la dondon généreuse qui pour convaincre les sceptico-pragmatiques vendait aux peuples européens des chances pour le continent, une force de travail éduquée, instruite, parfois à haut potentiel qui allait compenser notre déclin démographique, aux restrictions d'accueil, à la tolérance zéro avec les délinquants venus d'ailleurs, aux lois restreignant le regroupement familial, aux exhortations faites au Grecs de protéger l'espace Schengen, aux vaines tentatives de soudoyer les Turcs pour arrêter l'afflux des migrants (non pas que les Turcs aient refusé les milliards, ceux dédiés à l'entretien des réfugiés et ceux dédiés à la relance de l'intégration de la Turquie dans l'Europe – non tout ça ils ont pris et continueront à prendre – mais parce que les réfugiés continuent d'affluer autant qu'auparavant)…
Viktor Orban qui dressait des barrières de barbelés partout à ses frontières extra-UE est en passe de passer pour un visionnaire qui aurait tout compris avant les autres qui désormais l'imitent. Peut-être que les Belges qui viennent de fermer leur frontière pour stopper l'afflux probable des migrants de la jungle de Calais vont finalement se résoudre à construire cette ligne Maginot dont ils avaient refusé l'extension au sud de leur frontière avant la guerre parce qu'ils pensaient que leur neutralité suffirait à arrêter les chars nazis. Ce qu'on avait adoré, Schengen en l'occurrence, on le piétine désormais sans état d'âme.
Orban, encore lui, veut demander à son peuple, suprême hérésie quand on est Européen, s'il accepte les quotas imposés par Bruxelles (et Berlin). Il ne manquera pas de faire école.
En fait il n'aura pas fallu longtemps avant que tout s'écroule, pour que des décennies d'idées forcément généreuses et profitables aux peuples européens sans qu'on leur demande par ailleurs leur avis sur la chose, partent en fumée. Quelques centaines de milliers de migrants, à comparer aux 510 millions d'Européens de l'UE, quelques mois, et quelques exactions qu'on a voulu taire et dont on se refuse toujours à analyser les causes profondes, auront suffi à réduire à néant ce qui n'était finalement qu'une chimère. Une chimère que malgré tout on tente de sauver en apparence, ainsi que l'ont montré les pitoyables abandons au profit des Britanniques rien que pour pouvoir caresser l'espoir de les conserver à nos côtés, à nos côtés mais pas trop près quand même.

Je suis content que cette Europe s'effondre. C'était son destin puisque bâtie sur des grandes illusions généreuses mais dont les effets réels sont par contre néfastes. Complétement idiote cette idée d'une Europe qui aurait garanti la paix alors que c'est la paix qui l'a permise, tandis qu'elle a en même temps renoncé collectivement, en même temps que les Etats la composant le faisaient individuellement, à se doter des moyens pour assurer sa défense et a donc confié celle-ci en même temps que sa politique étrangère à un pays tiers. Complètement aberrante cette ode au libre-échangisme amenant l'Europe à s'ouvrir à tous et en particulier à ceux qui n'hésitent pas à se protéger et contraignant les Etats-membres à une compétition entre eux pour limiter les dégâts favorisée par un refus d'harmonisation des normes fiscales et sociales internes. L'Europe est une folie, une folie destructrice qui finira par sombrer malgré les obstacles qu'elle pose à l'expression démocratique des peuples qui la composent. Car la poursuite en avant de sa démarche folle, avec en particulier la signature prochaine de cet infâme traité transatlantique qui nous est tellement bénéfique que l'accès à son contenu nous est interdit, et même à nos représentants sauf sous certaines conditions* qui en disent long, finira par couper les derniers liens entre les peuples et leurs pseudo-dirigeants devenus des laquais d'une hydre aimant à se ressourcer à Bilderberg ou à Davos.
C'est cette folie, ce nouvel internationalisme qui s'est cru vainqueur et donc tout permis lorsque son concurrent s'est effondré il y a 25 ans, et qui croit pouvoir transformer l'homme en une unité de consommation/production dépourvue d'identité, de sens social qui est en train de s'autodétruire. Car il est une chose que les peuples d'Europe ont pu redécouvrir, et on ne pourra jamais assez remercier pour cela les migrants et plus particulièrement les salauds de Cologne et d'ailleurs (grâce à la spectacularisation de phénomènes de même type plus discrets, plus diffus) , c'est que les hommes ne sont pas tous semblables, que le seul accès à la consommation ne suffit pas à pacifier leurs rapports parce qu'ils sont porteurs, chacun d'entre eux, et par groupes, de valeurs parfois inconciliables, d'une identité aux vecteurs multiples, qui donnent un sens à leur vie. En cela le conflit n'est pas chose méprisable. C'est la manière dont il est mené qui peut l'être. Et en ce sens la responsabilité de tous ceux qui ont cru pouvoir l'éviter en niant des différences et même des incompatibilités est grande. C'est en effet cela qui mène à cette image détestable de migrants conspués par une foule criant "wir sind das Volk" détournant ce noble slogan lancé par un peuple effectivement qui tentait de se libérer d'autres chaines, d'autres illusions auxquelles il n'était plus possible de croire tellement la réalité leur était devenue étrangère.
Redevenons ce peuple, ces peuples, capables de dire non au mensonge et par la seule force de ce refus de l'abattre. Nous avons assez testé ou plutôt subi d'idéologies depuis un siècle pour trouver enfin une voie s'écartant de toutes les illusions qu'on voudrait nous vendre. Mais évidemment tant que l'ignorance et l'émotion supplanteront la connaissance et la raison, on peut rester pessimiste quant aux voies qui seront empruntées pour sortir de la situation présente devenue désormais intenable.

*Les parlementaires autorisés à consulter le TAFTA disposent de deux heures, ce qui est évidemment trop court, dans une pièce fermée. Ils doivent laisser leurs portables ou autres gadgets à l'extérieur, ne peuvent se faire accompagner d'un, ne peuvent recopier des extraits du texte exclusivement en langue anglaise (soumission quand tu nous tiens!), et ils doivent en outre ne pas divulguer ce qu'ils ont lu. C'est quand même du vice de nous cacher cette chose qui doit tellement nous faire du bien en assurant sans doute définitivement notre prospérité et notre bonheur.

lundi 1 février 2016

Comprendre ce qui nous arrive




La France, comme beaucoup de pays européens, est confrontée à une crise majeure. Chacun le perçoit, à sa manière. On notera tout de même de larges évolutions dans cette tentative d'appréhension d'un phénomène dont on peut se demander s'il est global ou s'il n'est qu'une accumulation d'événements sociaux disjoints ayant peu, voire pas, de rapports entre eux. Peut-on lier par exemple la révolte des cités de 2005 avec le terrorisme islamique qui se manifeste sur notre territoire?

Certains ne franchiront pas ce pas. C'est le cas par exemple de Hollande qui dans ses vœux voit l'ennemi en Syrie et nous conte qu'une fois l'EI éradiqué, le danger terroriste islamique sera écarté. Ce n'est évidemment pas mon avis puisque je vois dans les manifestations d'hostilité meurtrière qui nous ont frappés en 2015 le point paroxystique d'un phénomène entamé avec, chez nous, le regroupement familial décidé en 1974 par Giscard et Chirac, et peut-être même avant avec la guerre d'Algérie. En tout cas le regroupement familial nous faisait passer d'une immigration de travail donc supposée transitoire à une immigration de peuplement donc durable et même souvent définitive. Mais sans que pour autant soient réévaluées les exigences en termes d'intégration ou d'assimilation, sans que pour autant les règles en termes d'acquisition de la nationalité, droit du sol, naturalisations, ne soient durcies, voire remises en cause. On peut donc s'émouvoir du fait que des Français tuent aujourd'hui des Français, moi, ce qui m'émeut, c'est que ceux qui tuent des Français aient pu devenir Français. Ou pour être plus clair, aient pu devenir Français sans qu'on se soit assurés qu'ils partagent les mêmes valeurs fondamentales que les Français, et qu'ils aient le sentiment d'appartenir à la même communauté nationale.



Mais, reconnaissons-le, cette position ne fut pas très en vogue durant ces dernières décennies. Et même oser l'affirmer vous classait immédiatement dans le camp des nostalgiques des heures les plus sombres de notre histoire. La situation a bien évidemment évolué depuis quelques années. Ce qui ne pouvait être dit sans passer pour la réincarnation de Hitler commence à l'être. Certes les réactions restent virulentes, et même le sont de plus en plus. Désormais on dresse des listes, la liste de la fachosphère, celle des néo-réacs, celle de ceux qui font le jeu de qui-vous-savez, tout ça étant évidemment bien vide de sens mais destiné à frapper les esprits. Du reste on se demande lesquels. La majorité de la population ne les entend plus, on appelle ça la dérive droitière. Sacré dérive! Qui déborde même souvent la droite qu'on appelle républicaine sans doute pour signifier qu'elle fut très longtemps et demeure encore très perméable au fameux discours dit lui progressiste car tressant les louanges de tout ce qui est différent, crachant son mépris sur ceux qui s'accrochent à l'identité française forcément nauséabonde et encensant ceux qui revendiquent la leur, étrangère. Cela dit, on a quand même un peu le sentiment que le dernier carré sentant sa défaite proche en fait un peu beaucoup. C'est un chant du cygne qui ressemble au croassement du corbeau.

En attendant il faut continuer à souffrir ceux-là et surtout à souffrir de leur influence qui reste disproportionnée par rapport à leur volume, grâce aux médias, même si ça commence à faiblir, grâce aux associations par nous subventionnées, grâce à la culture officielle également subventionnée. On comprend d'ailleurs pourquoi tout ce beau monde s'accroche à ses positions. Et puis c'est quand même plus sympa et confortable de s'admirer mutuellement le nombril en se disant qu'on est des gentils, des précurseurs d'une société harmonieuse, en ayant les moyens d'éviter les inconvénients de celle qui existe, que de jouer les Cassandre. C'est plus facile de dire que les difficultés rencontrées dans cette marche vers le nirvana sont le fait d'une société nostalgique et rance (devenus synonymes) qui ne veut pas disparaitre et se referme sur elle-même, que d'avouer qu'on s'est planté et que ce qu'on appelle la diversité pour ne pas dire le multiculturalisme est source de tous les désordres et même, on le voit clairement désormais, de toutes les haines. Ce refus de reconnaitre ses erreurs explique très bien ces réactions démesurées de rejet vis-à-vis de ceux qui dénoncent les dérives du modèle qui était la référence.



Mais au-delà de tout cela, ce qui est frappant, c'est souvent la faiblesse des analyses censées expliquer notre situation. Si dans le futur, et à condition que cela reste possible car les positions dominantes actuelles ne nous offrent que de sombres perspectives quant à la possibilité de réfléchir et de s'exprimer, on entreprend de caractériser notre époque, on dira sans doute que c'était une période du vide de la pensée. Ceux qui se risquent en effet à une pensée dissidente mais construite sont davantage la cible de ceux qui pensent se situer dans ce qu'on pourrait appeler le sens de l'histoire, chose éminemment absurde, que ceux qui s'opposent à eux par un discours qui n'est que le miroir du leur. Pour être plus clair, ceux qui se présentent comme nos élites et qui n'ont de cesse de réduire une pensée qu'ils estiment dissidente tandis qu'elle est juste différente et mérite d'être envisagée autrement que par des anathèmes en forme de slogans, ceux qui font de Onfray, Finkielkraut et consorts des porte-paroles du FN, en finissent par nous imposer de choisir entre justement le FN et leurs délires multiculturalistes. On remarquera au passage la responsabilité des politiques incapables de se saisir de cette pensée différente et qui pourtant semble correspondre à ce que ressent une bonne partie de nos citoyens et qui nous enfoncent dans cette triste alternative. C'est la crise de la démocratie.

Donc et sans véritablement grossir le trait, on en est arrivé à ce triste sociologisme de comptoir sans issue et qu'on pourrait résumer par les analyses qui pourraient être faites d'un même ensemble de faits. Je vous livre en intermède ce qui pourrait être dégagé d'une même observation concernant un jeune des cités.

La première accable la société française qui rejette ce jeune, donc forcément une victime, tandis que la seconde lui colle tout sur le dos :

"Le jeune M. sort de son immeuble dont les récentes rénovations ont du mal à dissimuler la vétusté. Les yeux rivés sur ses chaussures de sport si nécessaires au confort de ses pieds tellement sollicités depuis que la société de bus qui desservait sa cité a, pour des raisons économiques, décidé de fermer la ligne deux kilomètres plus loin, il marche de façon mécanique, anticipant déjà les déceptions qui l'attendent pour cette journée, les mêmes que la veille, les mêmes que demain.

A peine a-t-il parcouru 200 mètres qu'il se fait arrêter par une patrouille de police pour un contrôle d'identité. La routine pour lui. Et c'est donc machinalement qu'il tend ses papiers d'identité à trois policiers qui l'observent d'un œil égrillard. Dans sa tête lui reviennent des images qu'il n'a pas connues, mais qui sont devenues aussi claires que s'il avait vécu l'événement tellement on lui a raconté. 1957, Alger, la casbah, les contrôles systématiques par les paras de Bigeard. Les salauds. C'était du temps de ses grands-parents, les colonisés, les sous-hommes. Finalement rien n'a changé, se dit-il. C'était là-bas, et maintenant c'est ici. Un sentiment de révolte s'empare de lui. Ce n'est pas la première fois, mais aujourd'hui il le maitrise. Sinon ce serait le poste illico, comme la dernière fois, avec passage à tabac sans doute. Non aujourd'hui il faut qu'il contrôle son envie de se révolter contre ces injustices. Il a besoin d'un boulot, juste pour vivre. Il doit donc aller à pôle emploi. Peut-être que là-bas… aujourd'hui… Mais non, aujourd'hui, c'est comme hier, comme demain. Sauf qu'aujourd'hui il a de la chance. Un portefeuille égaré sur le trottoir croise son chemin de retour. Marcher en regardant ses pompes peut être utile. Pas de papiers à l'intérieur, juste quelques billets. Il hésite. S'il entre au commissariat pour le rendre, ça va encore mal finir pour lui. Alors il se résout à prendre les billets. Au moins il mangera ce soir."



" A son réveil, il est midi passé, M. décide qu'il est temps de se rendre en ville. Il chausse les nike qu'il a fauchées la veille, bien pratiques pour courir vite quand on est poursuivi par les keufs. Il sort de son immeuble refait à neuf il y a juste 6 mois et déjà dans un état pitoyable, portes arrachées, boites aux lettres explosées, peinture difficile à trouver sous les tags… Il est d'ailleurs assez fier des siens qui lui assurent une certaine notoriété dans ce domaine. Un artiste méconnu sans doute. Ça, ça le fait marrer. Bon, putain, faut marcher jusqu'à l'arrêt de bus qui se trouve à deux bornes. Lui et ses potes ont tellement caillassé les bus qui arrivaient jusqu'à la cité qu'elle n'est plus desservie aujourd'hui.

Tiens! Les keufs! En arrivant à leur hauteur, il crache sur le sol à quelques centimètres de leurs rangers et marmonne une injure. Gagné! Encore un contrôle! Si la sociotruc repasse je vais pouvoir hurler mon désespoir d'être stigmatisé, pense-t-il en se marrant! Mais aujourd'hui il n'ira pas plus loin dans la provocation. D'abord pas question de les traiter de racistes comme la dernière fois puisqu'il y a un renoi et un rebeu parmi les trois qui le contrôlent. Pas question non plus de leur parler de l'Algérie et de leurs méthodes. Pas le temps aujourd'hui. Faut aller pointer pour toucher les indemnités mensuelles. Là-bas faudra faire semblant de chercher tandis qu'ils feront semblant de croire que je cherche. J'aurais dû faire acteur, comme Djamel. Et c'est ainsi que les choses se passèrent. Avec quand même une consolation pour M. qui ne se sera pas levé si tôt pour rien. Facile à tirer le portemonnaie de la mémé qui avait mal fermé son sac!"

J'aimerais beaucoup que ces discours ne soient que des caricatures. Mais ce ne sont que de pâles copies de ce qu'on nous sort quotidiennement, de cette absence totale d'analyse qui tente de s'en donner les apparences en faisant coller ses délires idéologiques aux faits.

Prenons un, ou des exemples concrets. Quand en Europe des femmes par dizaines se font violenter, violer pour certaines, par des hordes d'étrangers, les associations féministes n'y voient que la manifestation d'un patriarcat universel. Tous les hommes sont des salauds et les femmes des victimes. Quand des hommes foncent dans une foule avec leur véhicule en invoquant leur dieu, ce sont des déséquilibrés. La même chose quand un jeune envisage de découper un homme d'une autre religion que la sienne à la machette. En fait à chaque fois on s'en tient à une piteuse analyse d'un événement daté sans surtout tenter de l'inclure dans une logique plus vaste. Et encore! Quant on ne tente pas de le dissimuler purement et simplement!

Il semblerait que, hors de slogans habituels, il soit désormais interdit de penser, de raisonner en prenant les faits pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire le résultat d'un ou de processus qui ne peuvent apparaitre clairement que si on ose investiguer en des lieux et des époques parfois lointaines et/ou en s'appuyant sur des théories éprouvées dont on dirait qu'on voudrait qu'elles soient passées à l'oubli, même s'il reste de bon ton d'honorer ceux qui les ont produites. Je pense par exemple que pour expliquer ce qui se passe en Europe, et notamment les problèmes résultant d'une immigration massive et issue de civilisations extra-européennes, Levi-Strauss est bien davantage pertinent que Bourdieu. Le problème c'est que si on a dit beaucoup de bien du premier, il serait désormais sans doute devenu s'il vivait encore un membre éminent de la fachosphère, selon la définition que donnent les "vertueux" à cet ensemble. Déjà que "Race et culture" avait secoué en son temps! Quant au second, dont la sociologie s'est muée avec le temps en sociologie de combat, donc en toute autre chose que de la sociologie, il conserve les faveurs des progressistes, même si par ailleurs ils ne l'ont pas lu, notamment à cause de l'herméticité de son expression. Dans ce cadre par exemple une comparaison des évolutions respectives des civilisations européenne et japonaise serait fort instructive pour mesurer les effets de l'immigration sur la première, le Japon ne connaissant une immigration que résiduelle.

Et donc choisir la sociologie (et quelle sociologie!) plutôt que l'anthropologie pour expliquer les mutations d'un monde bouleversé par les effets de l'économie mondialisée et les flux migratoires qui en sont d'ailleurs en grande partie la conséquence, c'est déjà refuser d'aborder les problèmes et donc de les résoudre.



Mais il y a aussi la perspective historique qui est ignorée, hélas pas seulement délibérément, et les choses ne feront qu'aller de plus en plus mal dans ce domaine, cela étant largement encouragé par des gouvernants sous l'influence d'idéologues mal intentionnés. Quand par exemple, à part quelques spécialistes tout le monde sera persuadé que l'esclavage et la colonisation sont des phénomènes imputables aux seuls occidentaux, tout sera définitivement perdu. Or l'histoire sur le temps long est susceptible de nous éclairer sur la façon dont se côtoient les civilisations. L'histoire sur le temps long nous démontre par exemple que les rapports entre la civilisation occidentale chrétienne puis occidentale sécularisée et la civilisation islamique ont été essentiellement conflictuels, marqués par des guerres impitoyables, par de longues occupations dont certaines ont perduré… Cela non pas pour en déduire que forcément cela doive continuer éternellement, mais pour comprendre quels sont les éléments qui produisent cela et voire s'ils sont susceptibles de sauter… ou pas. On pourrait ainsi comprendre que sauter en criant que d'un côté il y a une religion de paix et d'amour et que de l'autre il existe une civilisation dominatrice est d'une complète absurdité.



Les clés existent pour comprendre le monde, notre monde, et tenter de l'améliorer. J'en ai cité quelques-unes, mais d'autres peuvent sans doute être mises en évidence. Mais force est de constater qu'elles ne sont guère utilisées. Et j'ose penser que si elles ne le sont pas c'est qu'elles impliquent au-delà d'une remise en cause de ses certitudes, du moins celles de certains, un retour à ce fondement de notre civilisation occidentale. J'ai cité la raison. Et celle-là n'est plus guère en faveur.